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C'est un corso fleuri. Comme un défilé de chars au carême, un après-midi de juin. On ouvre le bal, ils ouvriront le feu. C'est le temps des musiques militaires. Le temps des décorations, le temps des cendres avant l'été. Un mariage peut-être. De guerre lasse, quelques hommes en bras de chemise ont déguisé les fantômes. Juste pour vivre.

14 heures. Entre la résille de chenille et les cotillons, passe un premier tank allemand. Des cheveux blonds dans une tourelle. Un couple qui danse à la lanterne. Comment veiller les morts dans l'illusion d'une même jeunesse ? Comment croire à l'intransigeance de vivre ? C'est le temps d'une retraite aux flambeaux. Et celui des ruines humaines.

Alors on écoute la clique reprendre en fanfare une drôle de ritournelle. Comme à la fête des moissons quand le battage des blés n'était que fléaux. D'ailleurs, au passage des chars, on ne s'inquiète pas plus que ça. C'est un jour de libération. Un jour de grâce. Un jour béni.

L'omelette flambée trône sur la table. Les applaudissements crépitent. Quelques gorges enflammées redemandent des alcools forts. Les mariés se sont enlacés. Un photographe n'a cessé de les mitrailler toute la journée. Lui, dès ce soir, attendra seul le tramway de Limoges. Face à la poste, face à la mort. Elle, s'évanouira en fumée. Dans l'ivresse de l'absurde, priant un dieu goguenard de ses fines mains calcinées. Fondre de bonheur pour un éclat de rire. Pleurer à chaudes larmes. D'ordinaire, c'est le temps des promesses. Le temps d'aimer. D'ordinaire seulement.

Dans les flonflons, les soldats quadrillent jusque sur le champ de foire. Ceux-là ne sont pas invités à la noce. Ils ne sont que lueurs qui vacillent et gardent l'aveu de leur flamme pour une fraulein berlinoise. On les disait carnavals quand ils ont levé leurs crosses en l'air. Beaucoup moins maintenant. C'est tout un attroupement sur la Grand'Rue. Des murmures bâillonnés. Et un cortège qui prend peur au fur et à mesure que le ciel se rouille.

Derrière l'église, les gamins claquaient des pétards. On n'entend plus rien. Un soleil tombe à plomb sur le village. Si les hommes explosaient de joie il ya encore une heure, ils vont dorénavant mains sur la tête. De granges en granges. De bals en balles. Les jambes sont lourdes. D'autres gainées de soie. Une danse en rafales, des images qui tourbillonnent et soudain, ce ne sont que des jambes raides.

16 heures 30. Le vin qui tachait les nappes transpire sous des ventres fumants. On n'entend pas la mitraille sinon celle du Zeiss Icon aux photos argentiques quand le couple s'embrasse. Quand la nef s'embrase. Là où lui avait prêté serment, elle, posera les mains sur une fenêtre grillée. Autour des brise-fer et des poussettes, brûlante d'amour dans le métal carburé de ses bijoux fondus.

C'est le temps des plaintes. Un village torturé, des rues tortueuses et rougies de halos sanglants. Le banquet était copieux, on exhume soudain les restes. Rogatons d'une salle de bal enfumée, bribes d'insouciance et de mépris. Armée vaincue, souffrance rendue.

C'est un corso fleuri. Comme un défilé de chars au carême, un après-midi de juin. Oradour...

 

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