On est en 2023. Au festival de Cannes, les flashs des photographes crépitent dans la rue au pied du célèbre escalier du MIDEM. Ce soir est discerné les Oscars. Tout le gratin du cinéma mondial est réuni pour cet événement très attendu par le monde artistique et les amateurs du Septième Art. De Meryl Streep tout en élégance au dernier acteur Omar Sy qui a joué contre toute attente le célèbre 007, au grand dam des puristes. Sophie Marceau tout sourire et éternellement jeune. Le parterre classique.
Dans la limousine qui l'amène vers la cérémonie, Roman est fébrile. Ça y est, il aura sa revanche. Sa dernière apparition avait été une catastrophe. Une folle féministe l'avait humilié en public. Son cri « Vive la pédophilie! » l'avait mortifié. Lui, un pédophile ? Ce n'était pas le sujet du film présenté et de l'eau avait coulé sous les ponts. Même la femme qui était assise à ses côtés l'avait absous, prétextant une forme de prescription. Oui, elle était là, radieuse dans sa robe de couturier. Ses cheveux longs et blancs ajoutaient un côté irréel à sa beauté. Sa maternité n'avais pas marqué sa taille de brindille et sa poitrine était restée généreuse dans des proportions raisonnable. Elle était restée fine, comme une brindille. Son regard, de temps en temps, se perdait dans le vague. Elle restait silencieuse et souriait tristement. Mais là, elle venait pour lui et pour le César d'honneur de son époux. Pour l'ensemble de sa carrière.
« Calme toi, chéri, tout va bien se passer ! Ton fils sera là. Et moi aussi ! » dit-elle en lui prenant la main.
Roman la regarda avec son regard triste et sourit. La limousine s'arrêta à l'entrée des artistes à l'arrière. Mais Roman insista pour arriver par la grande porte. Le conducteur obtempéra. Le voiturier s'approcha pour ouvrir la porte. Alors, la femme lui prit la main et il sortit en premier. Un grand silence se fit. Les paparazzis laissèrent tomber leur appareils sur leurs cous et restèrent médusés. Tout comme les journalistes. Sans un mot, le couple s'avança sur le parvis. Roman prit un soin particulier à éviter le tapis rouge. Arrivé au pied des marches, là où les journalistes pouvaient interroger les invités, un journaliste timidement lui demanda :
« Roman, vous.... qui est cette femme ?
- Je sais que c'est soudain, dit Roman avec son attitude gênée et son français teinté d'accent, mais au risque de vous surprendre, c'est Sharon Tate, ma femme ma seule et unique
- M... Mais, on la croyait morte, poignardée par la Manson Family....
- Elle pourra certainement mieux que moi vous raconter ce qu'il s'est passé
- Mademoiselle Tate, en effet, que vous est-il arrivé ? Comment avez vous réchappé à la nuit du 8 août 1969 ?
- Eh bien, dit Sharon un peu gênée aussi de sa voix timide, je crois que je dois la vie à un voisin. Ce soir là, il a eu une insomnie et il était à son balcon quand il a entendu les cris et les rires des tueurs. Il a attendu que le silence se soit fait pour me sauver. Il a appelé les urgences et il est venu me libérer. Il a comprimé mes plaies en attendant que les secours arrivent. Moi, j'étais tombée dans l’inconscience. J'avais perdu connaissance et je suis tombée dans le coma. Je me souvenais juste d'avoir dit de sauver mon enfant. Les chirurgiens ont fait des merveilles et m'ont mis dans un coma artificiel le temps que je me remette. Cependant, le choc psychologique de cette horrible nuit m'avais rendu amnésique. A mon réveil, je ne me souvenais plus de rien ou presque. J'ai mis des années à recouvrer la mémoire. Ce n'est que très récemment que j'ai repris contact avec Roman. J'ai su que suite à ce massacre, Roman a eu la garde de notre fils et il est parti en Suisse, à cause de ses affaires de moeurs. Au fur et à mesure des années, Roman a préféré me croire morte pour ne pas sombrer. Il s'est en effet perdu dans des paradis de fêtes, de filles, mais je lui pardonne car je l'aime et il a suffisamment vécu. Quand j'ai frappé à sa porte, il y a trois ans, il est resté silencieux et on a repris contact peu à peu. A toutes les féministes, je dirai qu'il ne faut pas juger Roman uniquement selon sa vie. Qu'auriez-vous fait à sa place ? Loue-t-il le mode de vie de myphomane ? Le cinéma n'en sort pas grandi. J'avais depuis longtemps laissé ma carrière en arrière donc je ne fais pas de publicité. Ce soir, Roman reçoit l'honneur du César d'honneur pour sa carrière. A l'issue de cette cérémonie, il mettra fin à sa carrière et là vous verrez que vous allez perdre un grand cinéaste. »
Sur ces paroles, ce couple des plus atypiques montèrent dans un silence religieux les marches. En haut ils se retournèrent et les appareils crépitèrent. Comme pour immortaliser un moment de l'histoire du cinéma. A l'intérieur, ils s'installèrent dans le fond, sur les derniers fauteuils prévus pour les célébrités. La cérémonie commença comme d'habitude. Arriva le moment de discerner les récompenses, Kristin Scott Thomas, en robe fourreau noire, s'approcha du micro et dit de sa voix douce et mâtinée d'accent anglais :
« Avant de décerner cette récompense prestigieuse, j'aimerai que tout le monde garde l'esprit ouvert. On l'a trop souvent vilipendé, traité de porc et d'autres injures. Pourtant, avec lui, nous avons ri, pleuré, mais aussi réfléchi. Il a souvent dénoncé l'injustice. Ce soir, fêtons le cinéma. Laissons le ce soir profiter de cet honneur, qu'il n'a pas connu. Après, vous aurez toute la soirée pour vous gausser de cette récompense que certains ou certaines trouveront superflue. Monsieur Roman Polanski ! »
Roman se leva. Il avait toujours l'attitude d'un adolescent dégingandé, ne sachant où se mettre. Sur cette scène, il avait l'air perdu. Les spectateurs restèrent silencieux. Il regarda la salle. Après un temps, il dit de sa voix timide presque comme si il avait presque honte d'être là :
« Mesdames, Messieurs, Membre de l'Académie des Césars, je vous remercie de cette récompense. Je n'ai jamais fait de films uniquement pour ma gloire ou pour me couvrir d'éventuelles poursuites. J'ai fait ces films pour m'amuser ou faire réfléchir. Réfléchir sur mon passé ou sur l'injustice. Pour moi, le cinéma, c'est faire rêver, réfléchir. Je vous remercie encore de cette récompense. Je tiens à dédier cette récompense à ma femme. Le 8 août 1969, j'ai cru que la famille avait anéanti toute chance de bonheur et pourtant la vie m'a offert de retrouver ma femme, ma muse. Ce soir, je profite de cette cérémonie pour dire au revoir à la grande famille du cinéma. Certaines bondiront de joie à cette annonce. Je ne vais donc pas prolonger ce discours. Au revoir et merci ».
La caméra le suivit jusqu'à sa place, et s'attarda sur la femme à ses côtés. Quand la caméra changea de plan, Roman prit son trophée dans une main et la main de Sharon dans l'autre. Dans le silence, ils se levèrent et regardèrent la salle.
« Et voilà, c'est fini ! Chérie, allons y ! »
Ils descendirent les marches. Les photographes les mitraillèrent. Mais, eux, imperturbables, montèrent dans la limousine et partirent.
Le lendemain, les manchettes des journaux titrèrent sur cet événement.
Roman Polanski se retira dans un chalet isolé, dans une zone blanche. Il fit mettre des barrières électrique et mis à part quelques manifestations de féministes, il vécut une existence tranquille.