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Une caresse. De longues fibres lisses et soyeuses glissent sur la matière. D’une main de maître, elles se dirigent vers une teinte subtile, un bleu pastel légèrement grisé. A peine l’eussent-elles frôlée qu’elles plongent vers un fushia éclatant. Dans un tournoiement frénétique, elles s’en gorgent jusqu’à réplétion. C’est aux limites de la saturation qu’elles s’en détachent, lentement. Une goutte rose se forme à leur pointe et accueille à son tour un jaune canari.

Le bout de bois poli se dresse alors et s’élève jusqu’au zénith de cette sombre surface vierge. Son ascension achevée, le bras bandé retenant son coup jusqu’à l’ultime tension de ses muscles, il pourfend cet obscur espace et s’abat avec force. Toute cette richesse se répand sur la toile vibrante.

De nouvelles touches colorées. De nouveau, cette vive intrusion éclabousse le repos de ces lieux. De ce décor naissant, un nouveau détail éclot. Des pétales flamboyants se détachent de la noirceur ambiante. Un lointain ciel menaçant s’épanouit.

Sa course à peine achevée dans les méandres insondables, il puise de nouveau dans cette source inextinguible. C’est un vert puissant, une touche de blanc et enfin une once de gris qui viennent s’embarquer dans cette périlleuse ascension jusqu’au somment du monde.

Naissent alors prairies et forêts à flan de colline dans un harmonieux camaïeu. Le pinceau cette fois ponctue le ciel versatile. Apportés par la brise légère de ses caresses, de petits nuages cotonneux estompent ces airs courroucés. Dans le souffle de ces effleurements, c’est toute la scène qui se meut. Une atmosphère légère se lève à la tombée d’une nuit de printemps. Quelques minuscules traits bruns suffisent à nicher une habitation au sommet du tertre herbacé.

Rose poudrée et bleu lavande esquissent les courbes d’une jeune fille, sa peau douce vêtue d’une unique chemise d’homme. Seule, adossée à la fenêtre, elle contemple au loin un long passage sable surmonté d’un bleu marin. Une expression mélancolique se dessine sur ses traits. Ses eaux l’appellent. Elles lui susurrent des chants envoutants de noires et de croches à l’encre de chine. Une lame de fond qui l’attire inexorablement.

Sous ses pieds nus, les pâles paillettes de sable évoluent en de régulières lames de beige corsé. Du haut des dunes qui l’entourent, des tiges vertes et paille se plient sous la témérité du vent. Ses délicats cheveux mordorés virevoltent autour d’elle alors que se détachent des moutons immaculés au sommet des vagues. Une ambiance électrique laisse prévoir des éclairs cubiques d’or en fusion. Au rythme de ses pas, les lattes continuent d’apparaitre. Une avancée sans fin vers des abysses pécheresses.

Déterminés, des rais de lumière percent les ténèbres du ciel noirci au couteau. Son regard attiré par le scintillement de ces surprenants faisceaux, elle ne s’aperçoit que tardivement de l’ampleur de sa situation : la terre se dérobent sous pieds.

De larges nuances ocre hissent sous ses pieds l’immensité des falaises sur lesquelles ils reposent désormais. Friables, des amas d’argile s’effritent au gré du vent. Invisible, il souffle vers le vide. Perdu, il s’engouffre et gonfle la blouse en lin crème de la jeune femme. Le vide se rapproche… Le vent se fait pressant… Elle sent l’ébauche du néant lui chatouiller les orteils. La liberté est si proche…

Elle choit.

« Si seulement … Au revoir… »

Soudain, les cieux se déchirent. Une violente trouée de lumière aveugle ce monde qui s’écaille de seconde en seconde.

Les couleurs se diluent, s’effacent de la palette les unes après les autres. Elles retournent à leurs abîmes silencieux. Le pinceau lavé de toute souillure voit son heure arriver. Le moment de tirer sa révérence face à l’inéluctable. Le désastre.

Un travail réduit à néant. Mon œuvre éphémère, en poussière.

***

Mes paupières s’ouvrent. La lumière sèche du soleil m’éveille. Mon esprit vibre encore de ses émotions archaïques. Le tableau inachevé que j’ai cru discerner il y a encore un instant s’évapore alors dans les douces lueurs de la réalité.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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