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Pour sa sortie, sa mère avait envoyé un chauffeur.

 Bien sûr, si elle avait pu, elle y serait allée en courant. Pensez, son fils sortant de prison. Ce stupide accident de la route la cloue sur son lit pour quelques jours encore. Le bâtiment pénitentiaire est situé place Winston Churchill. Il était facile pour elle, avec le bus 65, d’aller le chercher. D’ailleurs, c’est à l’issu de la dernière visite qu’elle lui a rendue, qu’elle s’est fait renverser par une voiture alors qu’elle rentrait chez elle doucement en vélo. Envoyer un taxi, évitait également que des copains ne viennent le chercher pour faire la fête on ne sait où.

 Il n’est pas méchant son Pierre, mais il se laisse entraîner facilement. Elle l’aime bien son fils. Elle l’adore même. Il est gentil avec elle. Il l’aide à faire ses courses, prépare le repas du soir quand elle rentre tard de ses ménages de bureaux, tient propre leur petit deux pièces, au 5è étage de cet immeuble de Beaubreuil, à l’ascenseur constamment en panne. Elle lui laisse la chambre ; à 18 ans c’est normal qu’il ait son coin à lui. Et puis, elle se lève à 4 heures chaque matin.

 Il est beau son fils, 1,85m, les épaules carrées, un corps de trois quarts ailes au rugby. Avec ses yeux gris-verts, ses cheveux bruns et sa démarche élancée, il a du charme. Le dimanche, tous deux se promènent en ville. C’est leur récréation de la semaine. Cheminant dans les rues du centre, elle donne fièrement le bras à son trésor, comme pour dire aux filles qui lorgnent ce beau garçon, que son Pierre n’est pas pour elles ; il faut le mériter.

 Le sport était la seule discipline où il excellait. Dans les autres matières, l’école n’était pas faite pour lui. Il ne le faisait pas exprès, mais ce qui entrait par une oreille ressortait par l’autre. Il avait subi plusieurs examens. On lui avait diagnostiqué plein de dys, dysorthographie, dyslexie et d’autres encore avec des noms compliqués qu’elle ne comprenait pas. On lui avait promis une assistance en classe. Mais il n’y a jamais eu personne ; manque de moyens a dit la direction. Résultat, à ses 16 ans, l’école n’a plus voulu de lui et lui ne voulait plus de cette école pas faite pour lui.

 Deux ans qu’il va d’entreprises en entreprises. Avec son air bougon, les patrons ne le gardent pas longtemps. Depuis, il traîne dans les rues de Limoges. Qui peut-il fréquenter toute la journée se demande-t-elle ? Lui fait partie des taiseux. Ses phrases sont courtes, sèches, directes, comme un télégramme. Difficile de lui tirer les vers du nez. Comment savoir ce qui s’est passé pour qu’il aille un mois en prison. Une bagarre entre garçons, au milieu des immeubles de la cité. Un couteau sorti d’on ne sait où. Un coup porté. Un blessé. Du sang sur sa chemise. La police. Une comparution immédiate. Pierre est resté tout le temps muet sans se défendre. Elle est sûre qu’il n’y est pour rien.

 Dimanche dernier, elle à son bras selon leur habitude, ils se promènent rue Jean Jaurès. Une jeune fille, blonde, aux jolis yeux noirs en amende, vient à leur encontre, un chaleureux sourire aux lèvres, et les salue : « Bonjour Madame, bonjour Pierre, comment vas-tu ? Enfin tu es sorti de prison ». Pierre baissant la tête, baragouina quelques mots incompréhensibles. « Vous vous connaissez ?» demanda la Mère, intriguée. La jeune fille avec un regard franc et bienveillant, dit « Je m’appelle Marie. Votre fils est un brave garçon, Madame. Nous nous voyons souvent à la cité. Par timidité, il ne voulait pas vous le dire. Nous causons de tout et de rien. Nous aimons ces moments. On se comprend bien. Et là, je vous assure que Pierre est bavard et enjoué. Un soir, 3 jeunes sont venus chercher la bagarre. Pierre a voulu me défendre ; plus nombreux, ils ont vite pris le dessus. Mon père m’a appris à me servir d’un couteau à cran d’arrêt que je porte toujours sur moi. Ce n’est pas légal, mais la cité n’est pas sûre. Pour sauver Pierre, j’ai porté un coup à l’un des assaillants. Les autres effrayés ont pris la fuite. Pierre m’a dit de me taire. Pour que je n’aille pas en prison, il a pris le couteau de mes mains et s’est dénoncé à ma place. Sa chemise avait du sang. La police n’a pas cherché plus loin. J’étais à sa sortie de prison. Un taxi l’attendait et je n’ai pas pu l’approcher. Depuis, Pierre ne sort plus de chez lui et nous ne nous voyons plus. Je savais que vous vous promeniez en ville le dimanche après-midi. Je vous ai cherché ». A ces mots, la Maman prit la jeune fille dans ses bras, et toutes deux ont pleuré.

Assis tous les trois dans un coin discret de la Petite Chocolatière, savourant un excellent chocolat chaud, ils ont longuement parlé, surtout Marie et la Maman, et surtout de Pierre. La Maman avait très vite jugé Marie comme une fille bien ; elle ne se trompait jamais sur les gens dès le premier contact. Elle pria Marie de prendre soin de son Pierre, de l’aider à trouver du travail, et de tout faire pour éviter de traîner avec n’importe qui. Car, mine de rien, si Pierre ne quittait plus leur appartement depuis sa sortie de prison, c’est que ce mois d’enfermement l’a marqué profondément. Il parle encore moins que d’habitude, mange peu, s’est mis à fumer, et boit bières sur bières devant la télé allumé en permanence. Il est dépressif. Il faut l’aider sinon le néant l’absorberait de nouveau.

 

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