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Quelque chose a changé dans son visage, dans son allure et dans ses gestes même. Quelque chose d’indéfinissable que moi seule, peux détecter sans bien dire quoi.

Le timbre de sa voix quand elle m’a ouvert la porte, nettement moins clair que d’habitude et le voile dans le regard qu’elle a posé sur moi un instant avant de détourner la tête vers le jardin et au-delà.

« Tu vas bien ? »

« Oui » me répond elle, le regard perdu au loin.

Et son pas. Que dire de son pas ? Plus traînant, moins alerte que d’habitude lorsqu’elle nous rejoignait à table, portant à bout de bras la grosse cocotte ronde en criant « Attention, c’est chaud « 

Je m’assois à ma place habituelle dans cette cuisine où flottait toujours le fumet du plat qu’elle mijotait sur le feu.

Elle me rejoint mais ces gestes sont empruntés comme si elle ne savait plus que faire de son corps.

Je ne sens pas d’élan vers moi, elle d’habitude si chaleureuse, si tactile c’est comme si tous se figeait en elle.

Je la revois, elle, il y a quelques années, tourbillonnante dans sa cuisine le matin, veillant à ce que nous, ses quatre enfants ayons bien ce qu’il fallait sur la table pour un bon petit déjeuner.

« C’est important le petit déjeuner, vous savez » nous répétait elle d’un ton qui se voulait très convaincant. Et nous rions, en reprenant ses mots, en chœur tous quatre. « C’est important, un petit déjeuner, vous savez » Elle faisait mine de se fâcher et nous rions de plus belle. Elle nous pressait alors. Il fallait se dépêcher de nous habiller et de passer à la salle de bain, les uns après les autres. Elle faisait réciter sa leçon à la cadette pendant que l’un de nous occupait la salle de bain. Pas de temps mort. Il fallait gérer le temps au plus juste et surtout, surtout ne pas être en retard. Elle vérifiait notre tenue sur le pas de la porte avant que nous sortions, passait une main dans les cheveux de l’une, remonter le col de l’autre, redresser le cartable sur le dos de la troisième. Rien n’échappait à sa vigilance.

Pas en retard mais présentable, aussi !

Elle se mettait au volant de la vieille 4L et faisait rugir le moteur, ce qui nous faisait encore rire et nous n’avions pas le temps de nous y engouffrer que la voiture démarrait en trombe, nous laissant à peine le temps de claquer les portières.

Il régnait une atmosphère électrique dans la voiture Chacun y aller de sa petite histoire, voulant parler plus fort que l’autre pour se faire entendre.

Puis la voiture s’arrêtait devant l’école et comme un vol de moineau, nous nous envolions vers notre monde.

Et elle que faisait elle pendant ce temps ? Je n’y pensais pas à l’époque, occupés que nous étions par nos jeunes vies.

Bien des années après, je l’imagine de retour dans la maison silencieuse, débarrasser la grande table où nous étions il y avait peu de temps.

Un peu ennuyée de trouver deux tartines auxquelles nous n’avions pas touchées.

C’est important pourtant un petit déjeuner, pensa-t-elle en pinçant les lèvres.

Elle n’avait certainement pas le temps de s’ennuyer et éprouvait certainement de la fatigue à veiller au bien-être de ses enfants. Mais cette mission, elle en était fière et l’accomplissait d’une manière remarquable.

Voilà, les enfants se sont envolés vers leur propres destinées. Et elle ? Que lui restait-il ? Le silence de la maison.

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