P242 Alexandre - Quelque chose a changé

Quelque chose a changé. C'était une belle journée ensoleillée, comme il y en a beaucoup en juillet. Le 12 juillet 1963 plus précisément. Papa n'a jamais oublié un anniversaire de mariage. Unir leurs flammes juste avant la fête nationale pour lui qui était militaire, embarqué sur les grands terrains de jeu de l'armée française à l'époque, était une perspective tellement cohérente. Un jeune soldat tout feu tout flamme comme ils l'étaient tous au départ. Mais c’était bien leurs deux flammes qui confluèrent au sein d'une seule et même passion bouillonnante. Ils s'étaient connus deux ans avant ce jour de juillet. Ils étaient alors tous deux en couple. L'étincelle fut trop forte, le brasier les emporta. Leur lancinante et immuable ferveur n'a cessé de croître. Comme je le disais, quelque chose a changé et me voilà aujourd'hui pour vous en parler.

Leur amour passionné a finalement changé de forme. La flamme vacillait moins, mais n'en était pas moins forte. Elle s'est muée en une chaleur raisonnée, bienveillante. Une vie de famille équilibrée entre le travail, mes deux sœurs et moi. Une vie de famille comparable à tant d’autres. Tandis que personne ne pensait voir celle-ci se consumer, maman est tombée malade. Gravement malade. Injustement malade.

C'était aussi un beau jour de juillet, alors que nous étions en vacances au bord du lac de Serre-Ponçon, que maman nous en avait parlé. Ce barrage, s'il cédait à la pression des eaux, aurait pu inonder toute lueur d'espoir. Maman ne céderait pas.

C'est finalement papa qui a commencé à voir son éclat lui échapper. Il était toujours là, sans l'être. Sa flamme l'était tout autant, mais elle s'évaporait silencieusement en volutes de fumée. Après plusieurs années à soutenir maman de toute sa flamme, il s'est perdu en lui-même. Jusqu'à ne plus nous reconnaître. À en oublier nos belles journées de juillet. Toutes. Sans exception. Jusqu'à ne plus reconnaître maman sur les quelques beaux clichés du 12 juillet 1963. Vive les mariés. Tout a changé.