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— Quelque chose a changé ! Je t'assure que ce n'est plus comme avant.

Je marchais calmement avec Ernest sur le Boulevard du Temps, et tout à coup il s'est arrêté pour me dire ça. C'est souvent comme cela avec lui, un truc lui passe par la tête et aussitôt il faut qu'il arrête ce qu'on était en train de faire et se mette à méditer tout haut.

— Qu'est-ce qui a changé ? que j'ai répliqué. On est passé ici hier et c'est exactement pareil aujourd'hui. Alors bon, évidemment, tout n'est pas « exactement » le même qu'hier. Il y a probablement quelques feuilles qui sont tombées des arbres. Normal c'est l'automne. Et le volet de la maison à droite, au 74, était peut-être fermé hier. Mais bon, j’appelle pas cela « changer » !

Franchement, Ernest, parfois il m'énerve il faut toujours qu'il cherche la petite bête à écraser d'un pied vengeur. Je l'ai vu faire avec une araignée. Un véritable assassinat. Il l'a écrabouillée avec rage en tapant du talon encore et encore. Et ensuite il a raclé sa chaussure sur le bitume. Je crois même qu'il marmonnait entre ses dents : salope ! Voilà ce que tu mérites ! Il n'était pas comme ça avant. Plus calme, plus détendu, plus jovial. La vie ne l'a peut-être pas épargné. Il a dû vivre des épreuves douloureuses, perdu des êtres chers. Peut-être même qu'il est malheureux en amour

— Quelque chose a changé ! J'en suis certain. C'est toi qui refuses de voir Jules. Comme d'habitude tu fais l'autruche. Mais moi je vois tout. J'observe. J'analyse. Je scrute. Je prends des notes. Et c'est comme ça que je sais.

Décidément il était pas dans son assiette à soupe en me débitant la sienne de soupe. Mieux vaudrait qu'on change de conversation, on est en train de s'enliser dans ce qui n'a strictement aucun intérêt. Rien ne change et tout change. C'est un peu pareil. Tout est cyclique. La terre est une sphère qui tourne sur elle-même et on va tous finir par perdre la boule.

— Tu veux que je te dise, Ernest ? C'est toi qui as changé ! Tu deviens aigri, pénible, pour ne pas dire insupportable à tes heures. Je crois que nous allons arrêter nos promenades sur le Boulevard du Temps. Chacun va calmement rentrer chez lui, prendre une tisane, avaler un calmant et se mettre au lit.

Ce fut notre dernière conversation. Si on peut parler de conversation. On ne s'est jamais revu. Cela fait maintenant… pas mal de temps… Pour ma part j'ai continué ma petite vie ordinaire de promeneur désormais solitaire. Ça suffit à mon bonheur du moment.

Hier m'est venue l'idée de repasser par le Boulevard du Temps.

Je voudrais savoir si quelque chose a changé là-bas.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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