Coume vai les enfants ? Que c’est gentil à vous d’avoir organisé votre journée de classe verte chez moi. Votre compagnie réchauffe ma vieille carcasse. Vous voulez connaître mon histoire ? Je vais vous la conter. Tenez les titounets, mettez-vous en cercle près de moi, que je vous vois bien et ouvrez grandes vos auriho.
Je m’appelle Saint Pierre et suis né en 1814. Du haut de mes 5,78m, mon regard embrasse toute la plaine de la Crau, depuis les Alpilles jusqu’à la Camargue.
A cette époque, sûr de ma force, j’avais fière allure, les petits gars, avec mes quatre bras de 6m d’envergure et mes ailes en toile d’Arles, solidement fixées, capables de mater toutes les bourrasques. Perché sur ma colline, je dominais Fontvieille et la plaine d’Arles. J’étais le Seigneur de la vallée du Rhône.
La rondeur de mon corps, en pierres du pays, me permettait de résister à tous les caprices du temps. Ici, mes bravets, le vent est très fort, très très fort. Pécaïre, poids plumes que vous êtes, on vous retrouverait sur le sable des arènes d’Arles.
Mon toit rouge en forme de chapeau pointu, étincelait de mille feux sous l’ardeur du soleil.
Mes ailes dansaient la farandole, entraînant joyeusement ma lourde meule.
Pour être le plus efficace possible, l’ensemble de la toiture était monté sur un mécanisme de tourne-au-vent, me permettant de m’orienter en permanence. Aucune brise ne m’échappait. J’étais à la pointe du progrès.
Je meulais vigoureusement blé, seigle, avoine, olives et autres. Ah, mes pitchouns, la farine la plus fine et l’huile la plus pure de la région venaient de chez moi. Ma réputation excellait dans toute la Crau.
J’étais un but de promenade dominical pour les braves familles de Fontvieille, Maussane, Saint-Rémy, et même de Beaucaire et d’Arles. Les chevaux des calèches mis à l’ombre, sortaient des banastes pastis, pain, charcutaille, volailles, fromages, fruits, et vin du pays. Il faisait bon vivre sur ma colline, toujours un petit air de fraîcheur et de l’espace pour les tambourinaires et fifres.
Un après-midi d’été, vers 1862 ou 1863, je ne sais plus, et puis qu’importe mes petits ninos, la date n’a pas d’importance et c’est si loin. Ce fut ma période de grand bonheur. J’ai été le plus heureux des moulins à vent. Un jeune homme, d’une vingtaine d’années, vint, chaque après-midi, me rendre visite. Toujours après la sieste. Je le guettais. Dès que je l’apercevais au pied de ma colline, je claquais mes voiles pour lui montrer mon contentement. Il bondissait les derniers mètres tout sourire. En regardant le panorama, il reprenait son souffle en de longues inspirations pour se remplir de toute l’atmosphère de notre région, et nourrir ainsi son imagination. Puis, tel un amoureux étendu à mes pieds, il se lovait dans mon ombre. Alors, il méditait, prenait des notes sur un petit carnet, me les lisait à haute voix et je lui faisais part de mes impressions. Il me contait des histoires qu’il inventait en regardant mes ailes brasser notre bel azur de Provence, le plus pur de toute la France, dit-on. Les Etoiles, les Douaniers, les Trois Messes Basses, la Diligence de Beaucaire, l’Arlésienne, la Mule du Pape et bien d’autres encore. Ce jeune homme m’adorait. J’étais la source de son inspiration, me disait-il. Nous étions des frères. Moi, bouffi, je bombais mes voiles et mes tuiles, de plaisir, viraient au cramoisi.
Mes chérubins, trop belle était l’histoire pour un pauvre moulin de Provence. Le Vent prit ombrage de cette amitié. Sa jalousie était sans limite. Surtout que le vent, de Coume vai les enfants ? Que c’est gentil à vous d’avoir organisé votre journée de classe verte chez moi. Votre compagnie réchauffe ma vieille carcasse. Vous voulez connaître mon histoire ? Je vais vous la conter. Tenez les titounets, mettez-vous en cercle près de moi, que je vous vois bien et ouvrez grandes vos auriho.
Je m’appelle Saint Pierre et suis né en 1814. Du haut de mes 5,78m, mon regard embrasse toute la plaine de la Crau, depuis les Alpilles jusqu’à la Camargue.
A cette époque, sûr de ma force, j’avais fière allure, les petits gars, avec mes quatre bras de 6m d’envergure et mes ailes en toile d’Arles, solidement fixées, capables de mater toutes les bourrasques. Perché sur ma colline, je dominais Fontvieille et la plaine d’Arles. J’étais le Seigneur de la vallée du Rhône.
La rondeur de mon corps, en pierres du pays, me permettait de résister à tous les caprices du temps. Ici, mes bravets, le vent est très fort, très très fort. Pécaïre, poids plumes que vous êtes, on vous retrouverait sur le sable des arènes d’Arles.
Mon toit rouge en forme de chapeau pointu, étincelait de mille feux sous l’ardeur du soleil.
Mes ailes dansaient la farandole, entraînant joyeusement ma lourde meule.
Pour être le plus efficace possible, l’ensemble de la toiture était monté sur un mécanisme de tourne-au-vent, me permettant de m’orienter en permanence. Aucune brise ne m’échappait. J’étais à la pointe du progrès.
Je meulais vigoureusement blé, seigle, avoine, olives et autres. Ah, mes pitchouns, la farine la plus fine et l’huile la plus pure de la région venaient de chez moi. Ma réputation excellait dans toute la Crau.
J’étais un but de promenade dominical pour les braves familles de Fontvieille, Maussane, Saint-Rémy, et même de Beaucaire et d’Arles. Les chevaux des calèches mis à l’ombre, sortaient des banastes pastis, pain, charcutaille, volailles, fromages, fruits, et vin du pays. Il faisait bon vivre sur ma colline, toujours un petit air de fraîcheur et de l’espace pour les tambourinaires et fifres.
Un après-midi d’été, vers 1862 ou 1863, je ne sais plus, et puis qu’importe mes petits ninos, la date n’a pas d’importance et c’est si loin. Ce fut ma période de grand bonheur. J’ai été le plus heureux des moulins à vent. Un jeune homme, d’une vingtaine d’années, vint, chaque après-midi, me rendre visite. Toujours après la sieste. Je le guettais. Dès que je l’apercevais au pied de ma colline, je claquais mes voiles pour lui montrer mon contentement. Il bondissait les derniers mètres tout sourire. En regardant le panorama, il reprenait son souffle en de longues inspirations pour se remplir de toute l’atmosphère de notre région, et nourrir ainsi son imagination. Puis, tel un amoureux étendu à mes pieds, il se lovait dans mon ombre. Alors, il méditait, prenait des notes sur un petit carnet, me les lisait à haute voix et je lui faisais part de mes impressions. Il me contait des histoires qu’il inventait en regardant mes ailes brasser notre bel azur de Provence, le plus pur de toute la France, dit-on. Les Etoiles, les Douaniers, les Trois Messes Basses, la Diligence de Beaucaire, l’Arlésienne, la Mule du Pape et bien d’autres encore. Ce jeune homme m’adorait. J’étais la source de son inspiration, me disait-il. Nous étions des frères. Moi, bouffi, je bombais mes voiles et mes tuiles, de plaisir, viraient au cramoisi.
Mes chérubins, trop belle était l’histoire pour un pauvre moulin de Provence. Le Vent prit ombrage de cette amitié. Sa jalousie était sans limite. Surtout que le vent, de par chez nous, est puissant, très puissant. Mistral le nomme-t-on. Il ne me faisait jamais peur. Depuis des années, je faisais face à lui avec courage et détermination. Vous êtes trop jeunes pour savoir comment la jalousie peut vous transformer. Vous devenez méchants, haineux, féroces, cruels, sournois. Plusieurs fois, Mistral avait interrompu nos après-midis, avec ses labechado, ses bourrasques. Mes bras tournaient, tournaient à vive allure, résistant aux furies de cet énergumène en folie. Un jour, le soleil à peine levé, le Mistral tambourina à ma porte jusqu’à la dégonder. Réveillé en hâte, j’ai dû me défendre de ses coups de boutoir, sans pouvoir me préparer au combat, drisser mes voiles, arrimer mes rouages, fermer mes volets brises vent. Il s’agrippa de toutes ses forces à l’arbre de mes ailes et à mon rouet. Il voulait m’étrangler. La lutte cessa au crépuscule, les combattants épuisés. Mais le mal était fait, ailes déchirées, bras cassés, meule esquerre, rouages grippés et je me mis à éternuer, mais à éternuer, peuchère, des crises violentes, qui faisaient trembler toute ma vieille carcasse et dont l’écho résonnait jusqu’à Fontvieille. Les habitants murmuraient : « le pauvre, il ne passera pas la nuit ».
Je passais la nuit grâce à des tisanes de thym. Le lendemain, je me mis de nouveau à éternuer et cela dura toute la journée, et la suivante aussi, et toute la semaine et encore après, mes enfants.
Le jour du coup de Mistral, mon ami ne vint pas. Il faisait trop froid, et puis tant mieux, j’aurais eu honte. Dès le jour suivant, il vint prendre de mes nouvelles, atterré à la vue de mes blessures. Il revint tous les après-midis comme si de rien n’était. Mais notre moment quotidien d’amitié se fissurait à cause de mes crises quasi permanentes. Elles lui coupaient la parole à tout moment hachant les récits qu’il me narrait. Petit à petit, il espaça ses visites, sous des prétextes qui ne me trompaient pas. Je l’inspirais moins et il ne voulait par me le dire.
Ses visites cessèrent, sans qu’il ne me dise au revoir, me laissant avec mon chagrin et mon remord de ne pas lui avoir dit combien je l’aimais.
Réparés, j’ai repris mes fonctions habituelles de minoterie. Mais je n’avais plus l’envie. Je profitais des pluies d’automne, pour cacher mes larmes coulant le long de mes grandes ailes.
Le temps a passé, mes éternuements s’estompèrent, et la vie reprit doucement sous la chaleur réconfortante du soleil de notre Provence.
Un après-midi d’août, quelques années plus tard, des rires de jeunes gens me tirèrent de ma sieste. Un garçon et une fille se poursuivaient en tournant autour de moi. Puis, fatigués, s’allongeant dans l’ombre de mon grand corps, ils se lisaient des histoires, plus exactement des contes. Mais oui, les petits, écoutez-moi bien, ces contes étaient ceux que mon ami avait écrit avec moi. J’ai bien reconnu les Trois Messes Basses et la Chèvre de Monsieur Seguin.
Les amoureux partis un instant dans la garrigue, je me penchais doucement, et, d’un coup d’aile, saisis l’ouvrage posé au sol. Mes pupilles humides, je lu « LES LETTRES DE MON MOULIN » « IMPRESSIONS ET SOUVENIRS » « ALPHONSE DAUDET ». Je l’ai compulsé rapidement. Il manquait quelques textes, ceux que nous avions élaborés après le coup de vent. Par respect pour ma maladie, il n’avait pas voulu les publier. Brave garçon. Sans me l’avoir jamais dit, il m’aimait. Ma fierté était revenue ainsi que mon goût à la Vie.
Vous me demandez les contes manquants ? Vous ne le saurez pas. Les secrets d’amitiés ne se divulguent pas.
Aujourd’hui, je suis vieux et mes voiles sont démontées. Je ne suis plus qu’un musée. J’aime y accueillir les visiteurs, leur montrer la beauté des paysages et les accompagner à travers la garrigue environnante dans la lecture des contes de Monsieur Daudet.
Le soir, sous notre beau ciel étoilé, je me remémore nos doux moments de complicité avec Alphonse et je ne m’endors jamais sans me réciter l’une de nos histoires.
Le Mistral a gagné la bataille, moi j’ai gagné l’intemporalité.
Voilà mes enfants, la véritable histoire des « Lettres de Mon Moulin ».
par chez nous, est puissant, très puissant. Mistral le nomme-t-on. Il ne me faisait jamais peur. Depuis des années, je faisais face à lui avec courage et détermination. Vous êtes trop jeunes pour savoir comment la jalousie peut vous transformer. Vous devenez méchants, haineux, féroces, cruels, sournois. Plusieurs fois, Mistral avait interrompu nos après-midis, avec ses labechado, ses bourrasques. Mes bras tournaient, tournaient à vive allure, résistant aux furies de cet énergumène en folie. Un jour, le soleil à peine levé, le Mistral tambourina à ma porte jusqu’à la dégonder. Réveillé en hâte, j’ai dû me défendre de ses coups de boutoir, sans pouvoir me préparer au combat, drisser mes voiles, arrimer mes rouages, fermer mes volets brises vent. Il s’agrippa de toutes ses forces à l’arbre de mes ailes et à mon rouet. Il voulait m’étrangler. La lutte cessa au crépuscule, les combattants épuisés. Mais le mal était fait, ailes déchirées, bras cassés, meule esquerre, rouages grippés et je me mis à éternuer, mais à éternuer, peuchère, des crises violentes, qui faisaient trembler toute ma vieille carcasse et dont l’écho résonnait jusqu’à Fontvieille. Les habitants murmuraient : « le pauvre, il ne passera pas la nuit ».
Je passais la nuit grâce à des tisanes de thym. Le lendemain, je me mis de nouveau à éternuer et cela dura toute la journée, et la suivante aussi, et toute la semaine et encore après, mes enfants.
Le jour du coup de Mistral, mon ami ne vint pas. Il faisait trop froid, et puis tant mieux, j’aurais eu honte. Dès le jour suivant, il vint prendre de mes nouvelles, atterré à la vue de mes blessures. Il revint tous les après-midis comme si de rien n’était. Mais notre moment quotidien d’amitié se fissurait à cause de mes crises quasi permanentes. Elles lui coupaient la parole à tout moment hachant les récits qu’il me narrait. Petit à petit, il espaça ses visites, sous des prétextes qui ne me trompaient pas. Je l’inspirais moins et il ne voulait par me le dire.
Ses visites cessèrent, sans qu’il ne me dise au revoir, me laissant avec mon chagrin et mon remord de ne pas lui avoir dit combien je l’aimais.
Réparés, j’ai repris mes fonctions habituelles de minoterie. Mais je n’avais plus l’envie. Je profitais des pluies d’automne, pour cacher mes larmes coulant le long de mes grandes ailes.
Le temps a passé, mes éternuements s’estompèrent, et la vie reprit doucement sous la chaleur réconfortante du soleil de notre Provence.
Un après-midi d’août, quelques années plus tard, des rires de jeunes gens me tirèrent de ma sieste. Un garçon et une fille se poursuivaient en tournant autour de moi. Puis, fatigués, s’allongeant dans l’ombre de mon grand corps, ils se lisaient des histoires, plus exactement des contes. Mais oui, les petits, écoutez-moi bien, ces contes étaient ceux que mon ami avait écrit avec moi. J’ai bien reconnu les Trois Messes Basses et la Chèvre de Monsieur Seguin.
Les amoureux partis un instant dans la garrigue, je me penchais doucement, et, d’un coup d’aile, saisis l’ouvrage posé au sol. Mes pupilles humides, je lu « LES LETTRES DE MON MOULIN » « IMPRESSIONS ET SOUVENIRS » « ALPHONSE DAUDET ». Je l’ai compulsé rapidement. Il manquait quelques textes, ceux que nous avions élaborés après le coup de vent. Par respect pour ma maladie, il n’avait pas voulu les publier. Brave garçon. Sans me l’avoir jamais dit, il m’aimait. Ma fierté était revenue ainsi que mon goût à la Vie.
Vous me demandez les contes manquants ? Vous ne le saurez pas. Les secrets d’amitiés ne se divulguent pas.
Aujourd’hui, je suis vieux et mes voiles sont démontées. Je ne suis plus qu’un musée. J’aime y accueillir les visiteurs, leur montrer la beauté des paysages et les accompagner à travers la garrigue environnante dans la lecture des contes de Monsieur Daudet.
Le soir, sous notre beau ciel étoilé, je me remémore nos doux moments de complicité avec Alphonse et je ne m’endors jamais sans me réciter l’une de nos histoires.
Le Mistral a gagné la bataille, moi j’ai gagné l’intemporalité.
Voilà mes enfants, la véritable histoire des « Lettres de Mon Moulin ».