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La brise soufflait sur la colline. 

Là-haut, dans le ciel, quelques nuages voyageaient au gré du vent.

En bas, dans les champs, se dressait un moulin.

Un moulin tout neuf. Ses pierres blanches, fraîchement cimentées, contrastaient avec les jeunes pousses qui tapissaient la terre. 

Il était beau. 

Il était fier. 

Mais il était seul. 

Un moulin solitaire. Seul face au vent. Seul face au temps. Aucune habitation alentour. Que des prairies à perte de vue. Un camaïeu végétal quadrillé de petits chemins de terre et de cailloux. 

Il n’avait pour seule compagnie qu’une colonie d’étourneaux. 

Au début, les présentations furent compliquées, petits oiseaux intimidés par ce géant ailé. 

Alors pour se mettre à la hauteur de leur interlocuteur, ils formèrent une gigantesque créature, imposante et mouvante. Le moulin, sans trop comprendre, accueillit ce nouvel être et en fit son ami. 

– Qui es-tu, toi qui as quatre ailes ? demanda la bête. 

– Je suis Le Moulin. Et toi, qui es-tu, qui te meut dans les airs ? 

– Je suis Éphémère. 

– Enchanté Éphémère, répondit le moulin. 

– Enchanté Le Moulin, répondirent les oiseaux. Veux-tu voir un tour de magie ?

Confronté à son ignorance, il fut curieux et acquiesça. L’instant d’après la créature avait disparue. Émerveillé, le moulin espéra revoir cet être étrange bientôt, se retrouvant seul à nouveau. La chance lui sourit car c’est exactement ce qui se produisit.

Tous les jours pendant plusieurs semaines, les étourneaux venaient picorer dans les champs, se rapprochant toujours un peu plus du géant. A la fin de leur festin, ils s’alliaient pour ne former plus qu’un et aller saluer leur immobile voisin. 

Comprenant qu’ils n’avaient rien à craindre, les étourneaux commencèrent à s’approcher. A voleter autour de lui jusqu’au jour où l’un d’eux se posa sur l’une des pales. Alors, la bête entière fit de même. Le moulin ne fut plus seul, de jour comme de nuit, car son nouvel ami avait élu domicile sur son dos. 

– Dis-moi Éphémère, quel mois sommes-nous ?

– Je ne connais pas les mois. Je connais la nature. 

– La nature ? Pourquoi la nature ?

– Parce qu’elle change, elle évolue. C’est elle qui nous montre le temps qui passe.

Le moulin regarda autour de lui mais ne vit que les champs. Les mêmes que depuis sa naissance. Les mêmes que la nuit, alors que Ephémère dort. Sa solitude. Sa prison aux barreaux de cailloux.

– Je ne comprends pas, dit-il. Je ne vois pas le Temps passer. 

– Souviens-toi, quand nous nous sommes rencontrés. Souviens-toi à quoi ce paysage ressemblait. Et regarde maintenant ! Regarde les blés, comme ils ont grandi. Regarde les tournesols et leurs fleurs à naître. Regarde le maïs qui a poussé sur son pied. 

– Et c’est comme ça que tu vois le temps qui passe ?

– Oui, c’est comme ça. 

Alors, le moulin s’attarda sur ces détails. Le jour, il jouait avec les oiseaux. La nuit, il s’occupait à les chercher, ses fameuses traces que le Temps laissait. 

Et c’est comme ça qu’un matin, il réveilla son ami dans un sursaut :

– Ephémère, regarde ! J’en ai trouvé ! Regarde ces belles fleurs épanouies ! Comme c’est beau !

Effectivement, le printemps avait fait son office. Depuis peu, il faisait plus chaud, le soleil se couchait plus tard et oui, les fleurs étaient en train d’éclore. 

– Bravo Le Moulin ! dirent en cœur les étourneaux. 

Un vent léger se leva, faisant s’envoler poussière et pollen. Se retrouvant couvert de fines particules, le moulin éternua. Si fort et si soudainement, que tous les oiseaux s’envolèrent. Alors qu’ils allaient se reposer, il éternua de nouveau. De plus bel. Faisant vibrer ses ailes.

– Mais que m’arrive-t-il ? gémit le moulin.

– J’ai déjà vu ça, dit la voix de l’étourneau le plus sage. C’est le pollen que tu ne supportes pas. A la moindre bourrasque il s’engouffre dans tes pierres et te fait éternuer. 

– Comment l’arrêter ? 

– Il faudrait boucher tous les trous mais malheureusement, la terre est bien trop sèche. 

Les oiseaux firent plusieurs tentatives mais à chaque fois qu’ils s'approchaient, le moulin les faisait fuir dans un tremblement. Du mieux qu’il put, il retenait son souffle, tentant de se contrôler. Parfois il y arrivait mais c’est une quinte de toux qui prenait le relais. Ce ballet continua plusieurs heures jusqu’au moment où, exténué, Éphémère s’en alla. Le moulin se retrouva de nouveau seul, au milieu de ses prés. Seul et triste d’avoir perdu son ami. 

Le printemps était venu avec sa joie et sa beauté. Pour le moulin, il était synonyme de malédiction désormais. 

Il resta là, des jours, des semaines, des mois entiers. A guetter l’horizon. A épier les cieux changeants. A se morfondre de ne rien voir arriver. Pas de créature. Pas d’Ephémère. Rien ne venait. 

L’été passa. Le moulin n'avait pas oublié la leçon du passé. Il avait remarqué les changements. Il avait vu les fleurs se transformer en fruits et les couleurs varier. 

L’automne s’installa et signa la fin de tout espoir. Les champs avaient été fauchés. Le nez du géant continuait de piquer, chatouiller, gratter pour finir inéluctablement par un éternuement. 

Un soir, las de sa condition, il entendit de petits cris dans la vallée. Il n’avait jamais rien entendu de tel. De nouveau, sa curiosité grandit. Tendant le cou, il scruta la pénombre et, sans savoir si cette vision était un rêve, il sourit. Il reconnut son ami au loin. Il revenait à lui ! 

S’habituant à l'obscurité, il distingua d’autres formes au sol se déplacer rapidement. 

Ephémère se posta face à lui et attendit que tous arrivent. 

– Mais, mais… tu es revenu ! s’exclama le moulin, les larmes aux yeux. 

– Evidemment, dirent les oiseaux. Et pas tout seul !

Au pied du moulin, renard, blaireau, écureuil, martre, belette, cerf, biche et bien d’autres s'étaient rassemblés. 

– Notre route fût longue mais c’est victorieux que nous rentrons. C’est dans la forêt que nous avons dû nous rendre et convaincre nos amis de venir t’aider. Nous avons maintenant tout ce qu’il nous faut pour te soigner. Pour que jamais tu n’aies à éternuer.

Le moulin ne comprit rien mais se laissa faire. Il avait confiance. Grâce à la mousse ramassée dans les sous-bois, chaque animal colmatait les espaces laissés entre les pierres. 

– Voilà ! dit Éphémère une fois fini. Tu es guéri maintenant, et bien plus joli. 

– Merci, dit le moulin. Merci à vous tous ! Vous serez toujours les bienvenus maintenant que vous connaissez le chemin. Merci mes amis, nouveaux comme anciens. 

Alors, bien qu’aucun vent ne soufflait, le moulin fit tourner ses ailes sous la lune argentée. Que ce soit à ses pieds ou dans les airs, les animaux dansaient à cette nouvelle amitié !

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