« Une boulette de mie de pain s’il vous plaît »
Sur le coin d’une rue, vêtements effilochés et crasseux, un enfant aux joues et aux mains gercées, tremble de froid. L’hiver est long, très long lorsqu’on le passe dehors et que les intempéries nous font la vie dure. Il ne pleure pas, il n’a plus de larmes à verser, elles ont cessé de se répandre sur ses joues, il a déjà trop donné dans la tristesse. Avec le temps, il s’est tricoté une armure à l’épreuve du désespoir pour être capable de continuer à vivre cette vie qu’il connaît depuis que sa mère l’a abandonné dans ce quartier dans l’espoir qu’une personne bienveillante le prenne en charge. Mais, à date, personne ne s’est préoccupé de son sort. Ou bien on ne le voit pas, ou bien on le rabroue en lui lançant des paroles blessantes. Il n’est pourtant qu’un enfant qui est né au mauvais moment au mauvais endroit.
Il s’assied face au soleil, histoire de se réchauffer un peu. Il ferme les yeux et imagine sa vie autrement. Assis autour d’une table bien garnie entouré d’un père, d’une mère et de frères et sœurs, tous très joyeux. Ils s’apprêtent à déguster le repas que la mère a préparé avec amour. Il voit son regard rempli d’amour, ses lèvres lui sourire et sa main qui s’allonge vers lui pour caresser ses cheveux. Et, chaque fois, au moment où la première bouchée se dirige vers sa bouche, il revient à sa vie misérable d’enfant abandonné, affamé et transi de froid.
Pour l’instant, il est bien prêt à renoncer au repas copieux, à l’amour d’une famille et à la chaleur d’un foyer pour une seule bouchée de pain qu’il porterait à sa bouche avec respect, qu’il laisserait sur sa langue sans la croquer, juste pour le plaisir de la sentir dans sa bouche, d’attendre que sa salive imbibe ce pain béni et que ses papilles gustatives lui permettent de goûter avec délice à ce morceau tant convoité. Cette maigre pitance, il prendrait le temps de bien la mastiquer, de la garder en bouche le plus longtemps possible avant de la sentir descendre dans son œsophage et se déposer dans son estomac vide.
Hélas, aujourd’hui, avec le froid qui sévit, peu de gens se promènent dans la rue et son désir risque de ne pas se réaliser, une autre nuit le ventre creux l’attend. Demain sera peut-être un meilleur jour.
Il ferme à nouveau les yeux et ne prie plus pour une bouchée de pain. Une simple boulette de mie de pain ferait bien l’affaire.