Les soirs d’été ont des alanguissements de sultanes allongeant sur l’ottomane leurs voiles mordorés. Sur les collines ardentes ils étirent des ombres démesurées, promesses de caresses espérées, soupirent en vents coulis retroussant les feuillages tremblants et suavement expirent, ravis, tels des amants, extasiés.
Rêvons, c’est l’heure. Ayons les rêves buissonniers.
Le soir tout parle, le soir tout est vivant. L’ombre même a des accents émouvants.
Un chuchotis dans le taillis… Une ombre furtive est passée…
Est-ce un geai jaillissant des genêts ? Un bouquet de sitelles ébouriffant ses ailes au profond d’un bosquet ? Ou quelque sauterelle arcboutant ses muscles d’acier pour sauter d’ombelle en ombelle, acrobate sans balancier ? Ou bien la gémissante tourterelle pleurant l’éternelle ritournelle de l’oiselle délaissée, du tourtereau lassé ? Ou bien dans un froufrou de feuilles froissées est-ce le frêle peuplier qui frissonne, inquiet, sentant l’automne se musser dans les mousses flétries de la source tarie ? Est-ce près de Naïs, la naïade de pierre au sourire muet, est-ce le bruissant olivier dressant au ciel, comme un orant, ses palmettes d’argent ?
Peut-être est-ce une ombre du passé, une âme trépassée cherchant tout éperdue ses baisers oubliés et ses bonheurs perdus sous les tonnelles enlacées de glycines fanées ? Est-ce toi, la Fanette, la rêveuse esseulée dont le cœur suranné se brisa, voici dix années, pour un beau chevrier ? Est-ce toi qui hèles en vains échos les ombres fugitives et dont la plainte vespérale s’éteint, lamentablement, en un râle ?...
Nos rêves musardent, nos rêves cauchemardent. Voici la reine Maab et son cortège ténébreux.
Rentrons, c’est l’heure. Il fait froid. Vite dans nos demeures calfeutrons-nous loin des leurres de la nuit. Laissons les ombres danser avec la lune leur fol sabbat nocturne.