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Carpe Diem

Carpe Diem, c’est moi.

C’est ainsi qu’ils m’ont nommée quand ils m’ont adoptée.

Ils m’ont voulu latine, épicurienne.

 

Latine je le suis, avec mes ocres méditerranéennes, mes alanguissements de persiennes sous la chaleur de l’été, de bruissements d’abeilles et de feuilles caressées mes longues siestes bercées, de roucoulantes tourterelles.

Je cueille la fleur du jour.

A longues goulées je goûte les bouquets d’arômes des lavandes, des thyms et des genévriers.

De mes terrasses élancées je rêve aux horizons bleutés des montagnes miennes, aux constellations lointaines, à la lune claire et sereine.

Je contemple la beauté du monde.

Latine, épicurienne, je me nomme Carpe Diem.

 

Chaque fin de semaine ils viennent à moi, cueillir le jour.

Des côtes lointaines de l’azur, à travers cols et vallées, chaque fin de semaine, ils viennent : nous avons rendez-vous.

Ils ouvrent portes et volets, lancent à la volée miettes et graines pour le petit peuple des sitelles, des mésanges charbonnières et des chardonnerets, mettent le pain dans la huche, les bûches dans la cheminée.

L’espace d’une fin de semaine de mon long sommeil contemplatif je m’éveille, je reprends vie, noces sereines, pour leur félicité.

Je leur ouvre mes chambres, mes larges commodes et mes lits profonds où gonfle l’édredon, je fais sonner pour eux la comtoise fidèle, pour eux paisible elle égrène les heures du bonheur.

De mes terrasses élancées ils rêvent aux horizons bleutés, aux constellations lointaines, à la lune claire et sereine.

Ils contemplent la beauté du monde.

Et puis ils s’en retournent, cœur navré, soupirant de regret, vers les côtes azurées, exilés.

Le temps d’une semaine à nouveau je m’ensommeille, solitaire dormeuse aux rêveries buissonnières.

Je contemple la beauté du monde.

Je cueille la fleur du jour.

Je suis Carpe Diem.

Le Maître du Passage

             Comment vous parler de LA route sans d’abord rendre hommage à celui qui en est le maître incontesté ? Sans lui point de passage. Qu’il se courrouce, la route de l’hiver est fermée.

            Pour l’aborder, rite propitiatoire, nous le saluons –c’est son péage- avec révérence, déroulant le long panache de ses titres :

« Seigneur des Hautes Cimes, Souverain des Brumes et des Frimas Tonnants, Sire de Toutes Aures et de Tous les Vents, salut ! Sois-nous propice, ô Puissance Suzerain, accorde-nous passage ! »

            Il faut pour accéder jusqu’à lui l’humble ténacité des pèlerins : un café, pour se donner courage, à l’auberge de Touët sur Var. Après les antiques fortifications d’Entrevaux, le triangle des Scaffarels : à senestre la route s’escarpe abruptement, frôle le vide, jouxte précipices et ravins pierreux, perce des clues surplombées de Charybdes menaçantes, semble se perdre en lacets vertigineux. Les chênaies font place aux sapinières bleues, seuls les genêts encore s’accrochent aux parois de pierre nue où ruissellent les sources. L’air, léger, pur, est glacé même au plus chaud de l’été. Quelques rares maisons aux toits couverts de lauzes attestent que des humains vivent ici, en quasi autarcie. Chaque virage nous rapproche du Maître du Passage. Nous y voici ? Point encore. Celui-ci ?  Que nenni ! Un autre, encore, puis un autre aussi. Courage, ce n’est pas fini ! La Terre Promise se mérite ! Enfin, au détour d’un dernier tournant, un panneau à demi effacé :

Col de Toutes Aures

1159 m.

Nous sommes passés.

            Le reste de la route, ensuite, est pure formalité : la descente majestueuse vers Saint André les Alpes, et, récompense, turquoise dans son écrin de sapins, le lac de Castillon et son étrave de pierre fendant les eaux. Le col des Robines, maigre hobereau local, puis la pente douce vers Barrême et les terres civilisées. Encore une clue, à Chabrières, parfois verrouillée d’énormes éboulis. Enfin Champtercier la Belle, l’Ubac de Chadourène, l’ascension vers Carpe Diem, notre maison. Bienvenue chez nous, au paradis.

            Le voyage de l’hiver est toujours une énigme : passerons-nous ? Faudra-t-il, tels des flagellants, nous enchaîner ? Quelque épave abandonnée au bord de la route, quelque naufragé mal préparé à ces sauvages contrées. Le mouchetis des flocons envahissant la vitre. Les roues glissent, patinent… Angoisse. La route se referme sur nous. Prisonniers ? Miracle, la lueur orangée d’un chasse-neige providentiel nous ouvre le passage… Sauvés !

            Et nous voici, tels des Moïses traversant la Mer Rouge, tels des pèlerins affamés de Dieu, en route vers le bonheur promis. De Cagnes sur la mer, où le temps se consume en laborieux ennuis, à Carpe Diem, notre nid dans la montagne, la route est bien plus que celle des vacances : c’est le retour aux sources, c’est la route de la Vie.

            Chaque saison la nature y offre à nos regards émerveillés ses richesses, à profusion. Bientôt nous guetterons les premiers flamboiements de l’automne sur les parois embrasées. Puis l’immense blanc silence des cimes ouatées. Viendront ensuite les verts aigus du printemps, la suavité sucrée des grappes d’acacias, l’intensité des lavandes pâlissantes. Les meules mordorées veillent paisiblement sur les champs moissonnés écrasés de cigales au plein midi. Bercé de grillons nocturnes le ciel est criblé d’étoiles. Perfection.

            C’est ainsi que notre artificiel petit cycle humain s’inscrit dans la paisible route du Temps, où nous passerons, nous aussi, notre dernier passage, vers l’ultime vacance, saluant une dernière fois le Maître du Voyage :

            « Seigneur des Hautes Cimes, Souverain des Brumes et des Frimas Tonnants, Sire de Toutes Aures et de Tous les Vents, ô Puissant Suzerain, sois-nous propice : accorde-nous passage ! »

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