Il est là, au bord de la RD89, assis sur son sac à dos, le chien couché à ses pieds. Sans illusion, quand s’annonce une voiture, il lève un pouce désabusé. A quelques mètres, la balise de priorité en préalable au rond-point d’où on peut se rendre à la gare de Corrèze. Il fut un temps, on l’eut pris pour un chemineau. Avec l’évolution de la société, et du langage, on dirait que c’est peut-être un globe-trotter qui court après des chimères. Serait-il inspiré de cette phrase d’Émile Zola : rien ne développe l’intelligence comme les voyages. A voir l’usure de son sac, délavé par l’alternance du soleil et de la pluie, on en conclurait que selon ce principe, il avait acquis un savoir incommensurable. En revanche, à son approche, les senteurs qu’il dégageait pouvaient laisser supposer que sa dernière douche, sans remonter aux calendes grecques, datait quelque peu. Ce qui n’avait pas l’air le moins du monde d’incommoder le toutou à moins que, de son maître, il accepte tous les inconvénients sans rechigner ... Ou alors, le covid canin lui avait subtilisé son odorat.
Voilà qu’une splendide voiture rouge ralentit à sa hauteur avant de se garer à dix mètres du groupe sac, chien et piéton. Anselme s’interrogea sur l’opportunité de se rapprocher, ceci d’autant qu’il émergea de la belle auto une dame fort avenante, tant de par son tailleur très classe, ses escarpins, sa coiffure et son maquillage. On l’eut crue sortie des pages de Madame Figaro. A sa figure courroucée, l’homme et le chien doutèrent de ses intentions. Cependant, d’un commun accord, ils tentèrent de se rendre utiles : S’Chanel qu’Anselme avait surnommé Coco flaira les mollets de Miss Monde et Anselme demanda à la dame qui sentait si bon la raison de son arrêt impromptu.
Non sans avoir écarté le Coco d’un coup de pied rageur, la ravissante dame toisa l’Anselme et consentit à lui indiquer le problème du jour :
- Panne sèche ! Et pas un radis, on m’a chouravé mon sac ! C’est la cata … P…, j’suis pas dans la m… !
Anselme déduisant de cette envolée que le langage n’était pas en concordance avec le plumage, formula cette proposition fort honnête :
- Si vous consentiez à ce que je vous aidasse, j’extirperais de mon gousset l’assignat de vingt euros susceptible de s’échanger contre le combustible dont raffole votre cabriolet à la condition expresse que vous vous acquittiez des clauses du contrat vous incombant.
- Vous m’inquiétez, Monsieur ? …
- Anselme Delavie en un seul mot … A qui ai-je l’honneur ?
- Jade de Vergongeane, en rupture de ban, fauchée comme les blés, vu que je sors direct de la prison de Tulle. D’ailleurs, la bagnole, je l’ai empruntée à la vioque chez qui je me suis permis une petite incursion pendant qu’elle bavassait chez sa fille. Cerise sur le gâteau, dans la salle de bains, il y avait de quoi se pomponner et s’habiller comme une princesse avec des fringues qu’on aurait dit faîtes pour ma pomme.
- Mademoiselle Jade de Vergongeane, je suis bluffé par votre savoir-faire …
- T’affole pas, mon pote. Je ne suis pas de la haute, appelle-moi Mariette … Mais, c’est quoi, ton contrat au juste ?
- Tout simplement qu’on poursuive notre route ensemble, en tout bien tout honneur, cela va de soi. Mais vu les circonstances, je pense qu’il serait sage de nous rendre à la gare de Corrèze. Les vingt euros suffiront pour un billet SNCF qui nous amènera à Brive-la-Gaillarde.
- C’est la Providence qui t’envoie ! Ton contrat, je signe des deux mains …
- Vive l’aventure ! Heu ? Non, c’est trop risqué ...
- Quoi donc ?
- Qu’on revienne chez ta vieille, j’aurais pris une douche et peut-être trouvé de quoi être plus présentable, et aussi de quoi casser une petite croûte …
- T’en fais pas : dans la cité gaillarde, il ne doit pas manquer de vieilles dames compatissantes sur qui notre charme conjugué agira. Les cordons de la bourse seront débloqués et ouverte la porte de la salle de bains, ce qui ne sera pas du luxe, parce que toi et ton chien, vous n’embaumez pas la rose !