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Qui es-tu ? Je n’ai pas vu ton visage en passant, on m’a appris à ne pas dévisager les gens, c’est malpoli. De toutes les tables j’ai, de façon presque automatique, choisi celle qui a la vue la plus directe sur toi.
Toi ? Vu ton âge, ma bonne éducation me force à utiliser le vouvoiement. Alors, qui êtes-vous madame ? Madame, ou mademoiselle ? Je ne vois pas d’alliance à votre doigt. Je ne vis donc que de suppositions. Vous lisez un livre, la couverture est blanche ce qui contraste avec le vernis rouge sur vos ongles qui trônent sur vos mains ridées.
C’est ce livre, dont je ne connaîtrai jamais le titre, qui m’a attiré. Ça, ou votre trench-coat si classique et propre sur vos épaules si droites. Vous n’avez bu qu’un café et pourtant vous êtes assise là depuis longtemps car la serveuse est déjà venue relever votre tasse. Vous effleurez toute la longueur de la page avant de la tourner. Quelques minutes et vous en tournez une autre, et encore une. Ah ! Vous vous arrêtez et revenez quelques pages en arrière. C’est un bon présage, la preuve que vous lisez avec attention. Un doute peut-être sur ce que l’écrivain à voulut illustrer ou le besoin de confirmer un détail important à l’histoire. Vos cheveux sont grisonnants, parsemés de mèches blanches, vous acceptez donc votre âge avec grâce. Néanmoins, vous essayez de garder un esprit jeune, je le devine à vos chaussures que l’on verrait plutôt aux pieds d’une jeune fille de vingt ans.
J’ai allumé ma cigarette et demandé, et je le précise toujours de façon très polie, une bière. J’ai déjà inauguré le cendrier posé sur la table et vous vous agitez. Le livre se ferme et vous commencez à ranger vos affaires. Est-ce ma fumée ou mon regard insistant qui vous a dérangé ? Je n’ai aucune envie d’être la raison d’un départ précipité. Je préfère me convaincre que vous avez à faire. À cette heure le soleil tape mais il n’est plus chaud, vous relevez donc le col de votre imperméable, un regard à gauche, un regard à droite et finalement derrière vous, vers moi. Nos regards se croisent, du moins je le crois, derrière nos lunettes noires, difficile à dire.
Je vous écris et trois cigarettes plus tard, votre place est occupée par un homme. Une fois assit, il sort un carnet et un stylo et commence à noircir le papier tout en regardant autour de lui. Il me regarde furtivement du coin de l'œil et écrit davantage. Suis-je victime d’une curiosité similaire à l’intérêt que je vous ai porté ? Ce besoin de tout écrire et décrire que je pensais si miens, n’est que le besoin humain de nourrir notre ego si fragile. Cette nécessité de mettre des mots bien à nous sur les autres. L’image renvoyée n’est que le reflet de notre personne enjolivée à notre façon.
Et me voilà à répéter le même rituel que vous, un regard à gauche, un regard à droite, puis derrière moi. Je me lève et paye ce que je dois et je m’en vais, j’ai à faire moi aussi. Nous ne nous croiserons probablement plus jamais, pas plus que moi et l’homme au carnet. Mais nous avons partagé un bref moment de notre existence, comme le font des milliers d’inconnus tous les jours. Instants éphémères si peu appréciés et qui pourtant peuplent nos journées.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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