Quelque chose vibre sur l’étagère derrière lui. Un bibelot sans doute, au passage du train de marchandises qui roule lentement sous la fenêtre de l’hôtel minable où il attend depuis bientôt trois jours.
Elle lui avait dit qu’on lui ferait signe sans plus d’informations, pour la sécurité du réseau. Il n’avait pas osé quitter la chambre de crainte de manquer l’émissaire mais aussi de croiser la milice qui surveillait tout particulièrement les abords de la gare. À la réception, il avait donné le nom indiqué sur le faux passeport qu’elle lui avait remis en lui recommandant de ne jamais dévoiler son identité, il était recherché.
Il connaissait tous les détails de la tapisserie défraichie qui, un jour, avait dû être jaune et qui désormais s’ornait de taches d’origine aussi diverse que douteuse. Les rideaux de même couleur incertaine étaient entr’ouverts masquant partiellement la fenêtre donnant sur les voies. Les cloisons étaient tellement minces qu’il avait appris rapidement à reconnaitre les voix des rares clients de l’hôtel, désert en journée. Dans la demi-pénombre, il ne distinguait guère que le lit défait dont le drap était couvert de cendres, les mégots entassés dans un cendrier que nul ne s’était donné la peine de vider, la console bancale où était posée sa besace, et au-dessus, l’étagère poussiéreuse qui s’était remise à vibrer.
Pourtant le train était passé.
Il réalisa soudain que les vibrations provenaient des portes claquées à l’étage inférieur. Il entendit des bruits de bottes marteler l’escalier vermoulu menant à son étage et les portes recommencèrent à claquer, cette fois toutes proches, entrainant la chute du bibelot qui se brisa dans un bruit cristallin.
Il n’était pas armé et il était trop tard pour fuir, mais il savait ce qu’il avait à faire. D’un geste rapide il tourna la clé de la porte, attrapa la besace et attendit tous les sens en aguets, le cerveau en ébullition : qui avait pu le vendre ? Ses frères d’arme étaient-ils également traqués ? Pourrait-il garder le silence entre les mains de la milice ?
Lorsque des coups martelèrent sa porte, il comprit qu’elle l’avait piégé. Point d’orgue à la série d’infidélités et de mensonges qu’elle lui avait réservés des années durant. Il avait cru que l’engagement commun leur permettrait de partager un idéal, les réunirait dans l’action. Elle avait pourtant décidé de se débarrasser de lui de la façon la plus infâme et dangereuse qui soit, y compris pour elle. À moins qu’elle n’ait retourné sa veste et collaborât désormais avec l’ennemi ?
Alors sans hésiter, il plongea la main dans son sac, en retira la capsule qu’il ne devait utiliser qu’en dernier recours et la porta à la bouche. Au moment où la porte était enfoncée, il s’écroula sur le parquet graisseux. Le froid l’envahit, ainsi qu’un sentiment de délivrance. Fin d’une vie misérable, faite de déceptions. Et il pensa avec soulagement que bientôt tout deviendrait noir, miteux et disparaitrait.