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He just passed away at 10:23 am.
Ce message laconique est resté une semaine sur mon bureau. Je n’ai su que répondre. Mots d’usages, mots usuels qui ne reflètent ni la tristesse ni l’incompréhension.

Un deuxième message ...
We will have a short prayer at dinnertime and invite him to join us for dinner. This is done 7 times until his spirit is ready to reincarnate into another life at the end of 49 days.

«Dans 49 jours il pourra enfin se réincarner.»

Mon regard machinalement parcours mes étagères, et s’arrête sur un livre. Si longtemps caché dans l’amoncellement de livres que j’ose appeler bibliothèque, le livre soudain me saute aux yeux, présent... Je ne l’ai pas lu, ou du moins pas fini, comme tant d’autres, mais il m’est précieux. Il me l’avait offert quelques années auparavant, et l’avait choisi avec soin.

Je ne l’ai pas beaucoup connu, mais de tous mes cousins il était le plus proche. Il était... Comment parler de lui au passé ? Tout est si soudain...
Je ne voulais pas écrire ni dire des mots qui me semblent futiles et inutiles.
Pourtant j’ai besoin de le connaître, ou de le reconnaître.
S’il doit se réincarner, c’est qu’il n’en est pas à sa première vie, je cherche alors ce jeune homme dont la personnalité me dicte un passé, imaginaire sans nul doute, mais qui sait ? Une de ses vies antérieures ?

Le visage anguleux et sage de la photo de l’homme qui vient de nous quitter, se superpose à celui de l’adolescent, à peine connu, en rupture avec ses parents, son pays... Mon imagination rejoint l’inconnu, le temps, l’infini.

Ce même regard défie l’homme qui l’ausculte.
- Maître, il est temps de partir, les armées des Dai viet se sont rapprochées, nous ne sommes pas assez pour résister.
- Troisième fils tu vas partir sans moi, j’ai fini mon temps, le Yi King m’indique un autre chemin, je suis prêt.
- Mais Maître ce n’est qu’une voie il en existe d’autres...
-  Phong, tu es «Le Vent», c’est donc toi qui devras ouvrir la Voie, je t’appelle Bao «le Lumineux» afin que d’autres puissent te suivre.
Maître caressa sa longue barbe. Il n’avait pas attaché ses longs cheveux. Il était grisonnant et le front dégarni, ses yeux malicieux perçaient les nuages.
- Notre pays ne résistera pas longtemps, il en est ainsi...
Devant le visage surpris de Phong, Maître sourit.
- Non ce n’est pas dans le Yi King, c’est juste une question de temps, nous les Chiem Tam sommes appelés à disparaître face à la barbarie et la détermination de nos adversaires. Va mon fils, va, il est temps.

Phong prit son thé en silence, mis son riz gluant dans un linge, le cœur pris dans un étau, quitta le petit temple.

Il dévala la montagne, suivit la rivière qui menait vers Nha Tran. Des soldats étaient venus au temple quelques semaines auparavant, ils racontèrent les armées Viet qui tuaient toute la population. La résistance des Chams était exemplaire, ils se battaient farouchement pour garder leur ville.
Il longea la rivière remontait vers le Mont Cu Lao et enfin aperçut les tours du Po Nagar. Maître avait souvent évoqué ce temple. Bao le lumineux en avait rêvé.
La déesse Yan Po incrustée dans la pierre l’invitait.
Ce sont des légendes Bao !
Mais la déesse aux neuf formes le regardait, là, avec curiosité, vivante et engageante.
Il pénétra dans le temple aux odeurs enivrantes.
Une jeune femme allumait l’encens. Elle le regarda longuement. Ses habits colorés et précieux malgré l’usage du temps indiquaient le rang de la jeune femme.
Bao sentit son cœur battre, étourdi, il se laissa choir. Il n’avait pas mangé depuis la veille.

Des soldats campaient un peu plus loin. Elle l’y accompagna.

Phong décida qu’il se nommerait désormais Bao, le vent l’avait accompagné jusque-là, mais il avait besoin de lumière pour conquérir cette jeune fille.
Sous le regard appuyé de la jeune femme, il laissa les soldats fatigués le convaincre d’aller se battre, toute jeunesse était bienvenue.

Deux années ont passé, et les Champas ont fièrement tenu les armes et repoussé leurs adversaires de la ville et sa région. Le reste du pays des Champas disparaissait inexorablement. Bao était épuisé.

Un moment de répit permit à Bao de revenir au temple.
Les encens ne brûlaient pas, les briques brunes avaient noirci.
Il rechercha la jeune fille. De porte en porte, personne ne sut répondre, il n’avait pas son nom, ni celui de sa mère, dans cette société matriarcale les enfants prenaient le nom maternel. Il ne lui avait jamais demandé.

Il décida d’attendre dans le temple. En quelques mois il se fit connaître comme un sage de Po Nagar.

Un matin, les encens brûlaient et exhalaient leurs senteurs de musc.
Elle était là, dans sa robe fanée. Son visage rond illuminait un sourire tranquille. Elle savait qu’il reviendrait.

Son voyage était terminé.

De nombreuses vies plus tard, Phong a revécu la guerre, l’exode.
Il a repris le nom de Bao en exil.
Un cercle de vie qui se renouvelle. L’anneau se brisera, quand enfin la sagesse enlèvera tout désir, jusqu’à la contemplation suprême, le non être.

Bao n’était pas un mystique, son livre conte l’histoire d’hommes qui ont consacré leurs vies aux autres et en particulier à l’éducation des jeunes filles dans les montagnes de l’Afghanistan.

 Pardonne moi Cousin si je t’ai importuné. Je ne voulais pas que tu nous quittes si vite.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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