Toute la région est en effervescence. Montréal est sur la sellette en raison de l’exposition universelle qu’on a surnommée « Terre des Hommes » et dont l’inauguration a eu lieu le 27 avril 1967, c’est l’ouverture de la société québécoise sur le monde. Les hébergements se multiplient à la ville comme dans ses banlieues, plusieurs vont même jusqu’à modifier leur résidence principale dans le but d’accueillir des visiteurs qui arrivent d’un peu partout dans le monde. Les restaurants poussent comme des champignons pour répondre aux besoins des visiteurs. Le maire de la ville, Monsieur Jean Drapeau, a vu grand et est très fier de cette réussite.
De leur campagne un peu reculée, sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, Martine et ses amies ne peuvent résister à l’envie de découvrir le monde par cette exposition et d’y faire des rencontres intéressantes. À la Place des Nations, où a eu lieu l’inauguration, on y présente maintenant des spectacles venus d’un peu partout sur la planète. Elles réussissent à convaincre leurs parents de les laisser s’y rendre ensemble sans leur présence. Elles sont cinq jeunes adolescentes, des inséparables depuis qu’elles ont débuté leurs études secondaires. Pour cette journée spéciale, bien que la mini-jupe soit au goût du jour et qu’elles auraient bien aimé la porter, les parents sont tous d’accord pour l’interdire, trop provocateur, disent-ils. Elles optent donc pour leurs jeans à taille basse à pattes d’éléphants, leurs blouses fleuries (peace & love), leurs coupes de cheveux et leur maquillage à la Twiggy. Pour la première fois, elles vont utiliser le métro souterrain inauguré l’an dernier en vue bien sûr de l’événement. Elles utiliseront la seule station qui se trouve sur la rive-sud de Montréal, dans la ville de Longueuil.
Dès leur arrivée sur l’Île Sainte-Hélène, elles sont ébahies par la foule qui s’y trouve. Elles ont promis de rester ensemble et d’être prudentes. Elles savent déjà qu’elles devront revenir, trop à voir pour une seule journée. Pour cette première visite, elles priorisent les pavillons les plus populaires. Le monde est à leurs pieds et leur journée-découverte sème en elles l’envie du voyage. Elles jurent qu’elles visiteront en vrai tous ces pays représentés lorsqu’elles auront terminé leurs études. Par la suite, elles se dirigent vers la Place des Nations où un groupe musical québécois, Les Sinners, se produit. Elles terminent la journée à la Ronde, grand parc d’attractions, où elles se lient à d’autres jeunes pour une soirée des plus excitantes où manèges et spectacles distraient les visiteurs.
À leur âge, la politique ne les intéresse guère, elles font fi de la déclaration du Général Charles de Gaulle qui lors d’une visite officielle à l’Hôtel de Ville de Montréal, a déclaré à la fin de son discours public : « Vive le Québec libre! » Ce qui a engendré une grave crise politique entre le Canada et la France. Alors que le lendemain de cette déclaration, le Général de Gaulle visite l’exposition universelle, le premier ministre du Canada déclare que la célèbre phrase est une ingérence inacceptable ; le Général décide donc de ne pas se rendre à Ottawa, siège du gouvernement fédéral. Le mouvement souverainiste gagne des adeptes et la guerre du Vietnam sévit toujours, d’ailleurs une manifestation a eu lieu à Montréal contre le rôle joué par le Canada à cette guerre. Derrière l’exaltation qui règne pour l’exposition universelle, le monde politique demeure très actif.
Nos jeunes adolescentes sont grisées par cette journée qui aura ouvert leur esprit aux différentes cultures. L’Expo 67 restera sans aucun doute un souvenir impérissable pour elles. Par ailleurs, elles ont tant d’autres projets en tête pour terminer cet été 1967. Quelques films récemment sortis au cinéma à voir : « Le lauréat » avec Dustin Hoffman, « Devine qui vient diner ? » avec Sidney Poitier, « Vivre pour vivre » de Claude Lelouch avec Yves Montand, sans oublier « Bonnie & Clyde » avec Faye Dunaway et Warren Beatty. Et puis, il y a les soirées dansantes où The Beatles, The Rolling Stones, The Doors, les groupes québécois : Les Hou-Lops, Les Classels, Les Bel-Canto, César et les Romains, et tant d’autres accompagnent ces soirées où tous les copains et copines se retrouvent et que les premières idylles naissent. Sans oublier les Aznavour, Bécaud, Adamo, Ferrat, Brel, Aufray et Lama dont elles connaissent par cœur les paroles de leurs plus grands succès. Et par-dessus tout, lors de ces soirées, elles attendent avec impatience qu’un garçon, celui dont elles rêvent d’attirer l’attention, les choisisse pour danser «LE» slow le plus populaire du moment « When a man loves a woman » de Percy Sledge.
Les années 60 font partie intégrante de la « Révolution tranquille » qui apporte son lot de changements dans une société où l’état et la religion prennent beaucoup de place. C’est également l’époque de la modernisation du Québec. Les adolescents de cette période évoluent dans un monde complètement différent de celui connu par leurs parents et grands-parents. La libération des femmes commence à s’imposer, la religion catholique perd de plus en plus de fidèles, déçus de ce que l’Église leur impose sans s’adapter à la modernité, la révolution industrielle est en pleine effervescence. Ainsi, les années 60 tiendront une place importante dans l’histoire du Québec. L’Année 1967, pour la majorité de la population est remplie de promesses.
Martine et ses amies n’oublieront jamais l’été de leur 14 ans.