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A l'aube de mes 20 ans, je suis à la terrasse du café trinquette avec quelques amis. Nous sommes ici pour fêter les fins d'examens et nous sommes tous joyeux et libérés de cette tension de fin de trimestre. Déjà Claudie a le teint rougissant et se met à rire en lâchant toute ces contractions qui lui ont jusque ce matin serrés les intestins et coupé le souffle. Un fort éclat nous touche tous et de là chacun son tour, gorgée après gorgée, l'ambiance devient hilare.

Quand la vague de liesse vient à moi, je me laisse portée, tel un enfant bercé par un fort courant réconfortant et réchauffant. La chaleur de la boisson m'envahit progressivement et l'ivresse douce et légère me gagne me faisant moi aussi rompre les liens avec les études et ses servitudes.

Jean lève son verre à notre liberté provisoire, puis Justine, Raoul et Samuel. Dans chacun de leur verres, d'imposants glaçons s'entrechoquent au claquement des pintes et des coupes. Je repose mon verre et examine ces cubes massifs de glace qui nous volent quelques gorgées de plus de par la place qu’ils tiennent dans leur contenant. Je songe au gain d'argent favorisé par ce stratagème...

Me voilà pensive, absorbée et déjà enivrée moi qui ne tient que peu l'alcool.

Pendant que les autres continuent à s'épancher à grandes voix sur les quelques échappées qu'ils s'offriront pendant la pause des vacances, je m'évade déjà et après quelques secondes d'observation, je sors un de ces icebergs miniature pour le déposer dans ma main chaude.

Et lorsque je contemple ce merveilleux phénomène de mutation de la glace à l'eau qui coule entre mes doigts, me revient cette sensation de fondre il y a quelques années déjà, lorsque Pauline ma toute jeune sœur qui n'avait alors que 5 ans, suite à une de ses nombreuses scènes de colère face à mon manque de réaction à ses blagues et farces, m'affubla de n'être qu'un glaçon.

Oh terreur !

Moi qui me croyais la fille si discrète dont maman se targuait la vertu auprès des autres mères de la classe, voilà que mon atout devenait une tare, celle de ne pas réagir à la proposition légère et espiègle de ma sœur.

En quelques secondes, à cette annonce glaciale qui m'atteint au cœur de mon être, c'est ma propre carapace qui se mit à fondre, celle qui me protégeait du monde, de ma gène face à l'autre, des torrents d'émotions dont je ne préférais pas me laisser traverser par crainte de me retrouver fragile, sans défense et vulnérable aux yeux de tous.

Pauline m'avait atteinte elle et par son innocence sans le savoir avait percé le mystère de mon manque de réactivité.

Je fondais sur place, lasse de moi-même, de mon incapacité à faire corps avec le monde. Ce si petit mot, venait frapper la cuirasse arrangée pour mon retranchement quotidien.

Parfois la parole qui blesse nous déconcerte au point d'abandonner les ébauches de nos personnages ...

C'est ainsi en réalisant que je n'étais pas qu'une jeune fille discrète, que la fonte de la honte m'ouvrit les yeux sur d'autres brèches sensibles de mon être, le profond besoin de rester en lien s’avéra triomphant.

Depuis ma sœur et moi somment devenues très liées, le jeu et la farce faisant désormais partis de notre quotidien.

Le glaçon fondu, je peux reprendre mes esprits et me remettre à rire avec mes amis. Grâce à ma sœur, je peux aujourd'hui m'autoriser à prendre la parole sans la peur d'évoquer quelque fragilité.

Quand la glace fond, la terre elle nous soutiens toujours.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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