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Ma mère ne m’aimait pas, elle disait que j’étais froide, renfermée sur moi-même comme un escargot dans sa coquille, figée comme une statue, froide comme un nez de chien, un étang gelé, raide comme la mort, que sais-je encore. Toutes ces expressions me glaçaient d’horreur, je me demandais ce que j’avais bien pu faire de mal pour attirer ainsi ses foudres.

 

J’essayais de me faire la plus petite qui soit pour échapper à sa vue, me recroquevillait dans un coin de ma chambre, m’acagnardait en tremblant sur mon fauteuil, me cachait même sous mon lit pour échapper à ses injures.

 

Ma maîtresse sentait bien qu’il se passait quelque chose d’anormal dans ma tête. De bonne élève que j’étais, je devins distraite, effacée et progressivement éteinte. Julie, je ne vous reconnais plus, me disait-elle, répondez au moins lorsqu’on vous interroge, je sais que vous connaissez la réponse ! Mais rien à faire, je m’enferrais dans mon mutisme et pas même Madame Picard ne m’en aurait fait sortir. Pourtant je l’aimais bien, Madame Picard, c’était une bonne enseignante, ferme et sévère, patiente et exigeante à la fois et surtout très fine psychologue, elle savait trouver en chacun de nous la faille, les points faibles. Et les corriger du mieux qu’elle pouvait.

 

Elle se décida donc de convoquer ma mère pour se renseigner sur l’évènement qui m’aurait ainsi rendue dans cet état de confinement extrême. Julie a besoin qu’on la dresse, dit ma mère, et qu’elle sorte de cet état d’indifférence qu’elle semble afficher à notre égard, nous, ses bons parents ! Il y a un âge où on ne peut plus laisser passer certaines habitudes. Quand elle aura compris la leçon, elle changera d’attitude, c’est certain !

 

Madame Picard lui rétorqua qu’elle ne me voyait pas du tout comme elle venait de me décrire, qu’avant j’étais une enfant joyeuse, épanouie, et qui attirait l’attention de ses camarades par sa bonne humeur et sa joie de vivre. Puis elle se tourna vers moi et me demanda gentiment : alors Juliette, que penses-tu de tout cela ?

« Du jour où on m’a dit que j’étais un glaçon, j’ai commencé à fondre »

Répondis-je d’une voix très solennelle. J’avais lu cette phrase récemment dans un de mes livres préférés et je n’étais pas peu fière de la ressortir fièrement, comme ça, devant elles, pour les impressionner. Les regards de ma mère et Madame Picard se croisèrent conjointement et au bout de quelques secondes, elles partirent d’un fou-rire qui ne s’éteignit qu’au bout de longues minutes.

Mon petit stratège avait fonctionné bien au-delà de toutes mes espérances. Ma mère me prit gentiment par ma main en m’envoyant un regard où je décelai à la fois de l’admiration, de l’amusement et aussi beaucoup de tendresse.

 

Ma vie reprit son court, mon existence se passait à présent d’une manière joyeuse, à la maison comme à l’école. Je redevins la bonne élève que j’avais été, participative et impliquée dans la vie de la classe. Un jour, Madame Picard, citant alors Eluard *(je ne l’ai su que bien plus tard !) déclara à toute la classe médusée et impressionnée par cette poétique citation, que ma guérison avait été pour moi comme un peu de soleil dans de l’eau froide.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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