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J’ai erré longuement dans la ville, sans prêter attention aux rues que j’empruntais, aux gens que je croisais, aux bruits, aux couleurs, il fallait encaisser, absorber, jamais de toute ma vie je en m’étais sentie plus isolée ni plus insignifiante.

Cela faisait à peine 24 heures que j’étais arrivée sur cette petite île de la Caraïbes. Ce devait être nouveau départ après cette année de forçat pour récupérer toutes mes accréditations. Je voulais enfin casser cette routine « métro-boulot-dodo » bien huilée qui m’avait bercé jusqu’à maintenant

Las, rien ne c’était passé comme je l’avais imaginé. Mon contact ne m’attendait pas comme prévu à l’aéroport et mon portable ne recevait aucun réseau téléphonique. J’avais patienté dans une atmosphère lourde, chaude et humide pendant plusieurs heures : tout me collait, le soutien-gorge trempé, plus rien de sec sur la peau, la sueur perlait au bout des doigts, les cheveux plaqués dans le cou. Dans un brouhaha enfiévré, je m’étais rapprochée d’un comptoir de location de véhicules où une file d’attente vertigineuse s’étirait mollement. Mon tour venu, plus aucune voiture n’était disponible. Je soupçonnais avoir entendu l’employée glousser en voyant ma déconvenue.

J’aurai du anticiper. Dans cette petite république bananière, rien ne pouvait ressembler à ce que je connaissais. Pourtant, c’est délibérément que j’avais choisi ce poste pour me lancer dans la correspondance de presse à l’étranger. J’attendais beaucoup de mes nouvelles fonctions pour prouver ce dont j’étais capable.

A vingt-cinq ans, mes diplômes en poche, je n’avais réalisé que des interviews futiles ! Je me souviens avoir pénétré, sous escorte, dans la suite luxueuse d’une star américaine, qui m’avait reçu étendue lascivement et dédaigneuse, sur un canapé-lit pour faire la promotion de son nouveau film. J’avais trouvé cela très humiliant. Mais ici, je le savais, ce ne serait que pour couvrir les émeutes, les révolutions, les attentats qui meurtrissaient depuis plusieurs mois ce tout petit pays. Et sans escorte !!

Je me décidais à quitter le hangar en tôle qui servait de terminal et je sortis dans une lumière aveuglante. Aucun taxi à l’horizon, toujours pas de réseau téléphonique et beaucoup de monde en attente d’un moyen de transport. J’allais devoir attendre sous une espèce d’abri de fortune où un vieil homme édenté et à la peau parcheminée jouait sur un vieux violoncelle auquel il ne restait plus que trois cordes. Je sortais la seule adresse que j’avais obtenue avant de partir, celle du local qui me servirait de bureau.

Plusieurs heures plus tard, j’avais réussi à dégoter un taxi local, sorte de voiture sans âge, sans couleur, aux sièges usagés, aux amortisseurs morts. Heureusement, le chauffeur, un rasta, aux dreadlocks impressionnantes parlait vaguement le français et avait l’air de connaître la ville. Il me déposa à un coin de rue en me disant qu’il ne pouvait pas aller plus loin. J’eu la vague impression qu’il se fichait de moi quand un brouhaha s’éleva de la grande place que j’avais juste aperçue en descendant.

Une foule compacte en plein délire courait vers moi, poursuivie par des hommes armés. J’avais eu juste le temps de me coller contre un vieux mur blanchi à la chaux pour éviter d’être happée et piétinée. Mais, mes sacs n’avaient pas eu cette chance : écrasés, éventrés, saccagés…. Mes affaires volaient au vent, et une multitude de gamins crasseux commençaient à se précipiter pour rafler tout ce qu’ils pouvaient. Je me précipitais sur mes appareils photos et mon ordinateur. Ce furent les seuls choses que j’ai réussi à sauver. Seule, j'étais seule dans ce qui restait d'une ville !

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