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Gare de Nantes. Dimanche 2 janvier. 14 h.

Sur le quai charrué de passagers le train ventru soupire, grince, pressé, attendant le sifflet.

Le train ventru craque, chavire lourd navire tendu sur ses amarres tordues, jusqu’à me rompre, jusqu’à m’écarteler, jusqu’à ce que mon corps se déchire, cœur arraché.

Il faut, je dois - pourquoi ? Pour quelle vie fantôme, quelle gare de hasard, quelle illusoire destinée ? - il faut, je dois me séparer de toi. Un mois, un an, toujours, peut-être ? Il est déjà si tard !

Sur le quai charrué de passagers derrière la fenêtre tu t’es détourné. Tu ne veux pas que je te voie pleurer. Tu me caches ta rage pour m’encourager. D’un regard d’aveugle tu scrutes les panneaux, questionnes un employé. Le train a du retard, celui des Quimpérois. On attend la correspondance. Sursis désespéré.

Le train ventru soupire gorgé de passagers. Du regard tu me cherches derrière la fenêtre, me cherches dérobée par la vitre fumée. Vie embrumée. Tu remontes le quai, aveugle, vaine quête, me longes sans me voir. Je cogne folle guêpe emprisonnée, cogne contre la vitre, cogne mes poings mon front mon cœur, me cogne incarcérée contre la vitre fumée. Vie enfermée. Je te vois, tu ne me vois pas, tu ne m’entends pas.

Sur le quai charrué de passagers tu as un geste agacé. Ton portable. Qui t’importune en ce moment ?

C’est moi. Je suis là, tout contre toi. Voix contre voix. Approche-toi. Là. Là. Tu me vois, à présent. De part et d’autre de la vitre fumée nos mains se touchent, se calquent, exactement, l’une sur l’autre. Nos voix chuchotent, tremblent, nos voix se disent les pauvres mots de l’amour, se disent l’indicible. Nos regards ne se quittent pas.

Sur le quai charrué de passagers de courtes vagues humaines viennent battre le train en flots précipités. Le Quimper-Nantes vient d’arriver.

Ton visage est si pâle ! Tu figes un sourire sur tes lèvres crispées. Comme une noyée je m’accroche à ton regard.

Le train ventru se goinfre, ingurgite sa dernière ventrée. Il est plein à craquer. Il craque, il chavire, expire en un bruit de soufflets avant de s’ébranler, ses amarres rompues. Et mon corps se déchire, et ma vie s’écartèle, mon cœur s’est arraché.

J’ai cessé de regarder, puisque tu n’es plus là. Fantôme hagard je roule vers une gare de hasard, mon illusoire destinée. Survivre. Mutilée. Amputée de toi. Un mois. Un an.  Toujours ?...

Non, pas toujours, mon amour. Pas toujours.

Je reviendrai.

 

Tag(s) : #Textes des auteurs
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