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Quel froid ! Je contemple mes doigts bleuis. Perplexe je regarde les autres passagers du train. Ils n’ont pas l’air de souffrir autant que moi. Je dois être une personne frileuse. « Chochotte » me souffle ma sœur. Je sursaute et regarde autour de moi. J’ai rêvé, elle ne peut pas être là. Je suis montée seule dans ce wagon. Il est idiot de la chercher des yeux.

Je hausse les épaules et contemple les passagers qui m’entourent. Ils ne sont que trois. Une jeune fille diaphane, élancée et délicate est assise à deux fauteuil de moi sur la droite. « Un clou, une planche à pain, aucun intérêt ! ». Je divague ? C’est vraiment comme si elle était là ! Ma sœur n’aime pas comme moi les silhouettes de magazine. Elle ne fantasme pas sur les mannequins : « pas jolies, que des os, bof bof ! ». Je la vois feuilleter les revues et condamner chaque image. « Ce n’est pas la vraie vie ! » N’empêche que moi je la trouve jolie cette passagère mince au doux visage et aux yeux bleus délavés.

Je tourne la tête et regarde le monsieur brun à la grosse moustache qui s’endort sur son livre. « Il manque son jumeau ! Ne vois-tu pas que c’est Dupont et Dupont ? » Je souris en cachette. C’est quand même de la mauvaise foi car les jumelles : c’est nous.

La dernière personne est tout au fond du wagon, il y a trop de distance entre nous pour que je la distingue bien. Je ne vois pas bien de loin. Je vais mettre mes lunettes, ça m’aidera. « Oh la chouette !! » Impossible, elle va me laisser tranquille ! Elle n’est pas là et pourtant elle arrive quand même à me faire des remarques. Je regarde à nouveau et je vois un tout jeune homme, presque un enfant. Il regarde ses mains en silence, comme un enfant puni pour une grosse bêtise.

Elena a cet air là quand maman la dispute. Elle se mure dans l’indifférence et reste de marbre, absente. Moi je pleure, je sanglote à gros bouillons. Mon manque de sang-froid est ce qui l’agace le plus. « Tu ne peux pas cesser ? Te ressaisir ? » Elle serre les poings. Maman vient de nous faire un sermon terrible. Nous nous amusions à verrouiller et déverrouiller le vasistas de la fenêtre du wagon laissant entrer le courant d’air froid dans le train. Maman est allée aux toilettes et Elena m’a passé un second savon. Un ne suffisait pas. Je pleure de plus belle. Exaspérée elle me donne un coup de coude. « Ça fait mal ! » Son sourire ironique me dit qu’elle le sait très bien et je passe illico en mode boudeuse. « Tu es trop méchante. » Elle considère ça comme un compliment et se lève pour se dégourdir les jambes. Je boude toujours en regardant la campagne verte à perte de vue. Ce spectacle me repose et je finis par me détendre.

« Nous arrivons en gare de Montpellier, le train s’arrête quelques minutes. Où est Elena ? » Je sursaute. Maman est revenue. Je regarde dans le wagon: elle n’y est pas. Je secoue la tête. « Aucune idée. Elle était là, pourtant. » Maman est agacée, elle commence à regarder sous les sièges, Elena est bien capable de se cacher. Elle n’y est pas.

« Je vais voir dans les wagons voisins, vous n’êtes vraiment pas sages ! » Et voilà ! Je n’ai rien fait et je suis encore sermonnée ! C’est l’histoire de ma vie ! Injustice totale. Je suis plutôt calme et timide, je n’aime pas être le centre de l’attention. Je ne fais pas de caprice, j’évite les bêtises par peur d’être grondée. Mais Elena est là. Elle crie, elle exige, elle râle, elle répond. Elle imagine des histoires et nous nous retrouvons dans des situations insensées. Combien de fois ai-je été punie de télévision pour rien ? de bonbons ou même de sortie au cinéma ? Pas plus tard qu’avant-hier puisqu’on en parle. Une plaie ma sœur ! Sans elle comme ma vie serait plus facile ! Plus d’entourloupe, plus de remarques perfides… Je soupire.

Maman me secoue le bras comme un prunier. Un homme de la SNCF est à côté d’elle. Je remarque que le train est entré en gare. J’entends des passagers décharger et charger de grosses valises sur le quai.

-Serena !!! Par où ta sœur est-elle partie ? De quel côté ? Elle ne peut pas être bien loin, je suis partie moins de cinq minutes. La voix de ma mère frôle l’hystérie.

- Je n’en sais rien. Je n’ai pas vu, je regardais dehors.

L’agent des chemins de fer a un visage inquiet, ma mère continue à secouer mon bras. Elle me fait mal.

Je passe doucement la main sur mon bras. C’est comme si c’était hier. Je contemple la nuit dehors. Les lumières jaunes du wagon se sont allumées. Je me renfonce dans mon fauteuil.

 Le train et la gare ont été passés au peigne fin, les appels à la radio et à la télévision n’ont rien donné, ma sœur s’est volatilisée.

Je ressens chaque jour un pincement de culpabilité pour avoir souhaité son absence. Je porte le poids de ce souhait de gamine jalouse exaucé malgré moi. Elle me manque à jamais.

« Que le roi du silence commence ! » me chuchote-t-elle.

« Tu as incontestablement gagné » lui dis-je. Je vois mon reflet dans la fenêtre du wagon. Une larme coule le long de mon visage.

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