La vue de cette maison d'écluse m'a plongée dans mes souvenirs d'enfance.
J'ai repensé aux balades au bord de ce canal, qui se jette dans la Garonne. Tout près du fascinant estuaire de la Gironde, grande bouche s'ouvrant sur l'Océan Atlantique.
Son nom, beaucoup moins séduisant que le nom de celui qu'il prolonge, le Canal du Midi, est Canal Latéral à la Garonne.
Mais sous cette appellation ingrate se cachent mes souvenirs d'enfance.
Les rêves naissaient à la vue de ce long ruban d'eau, les berges, ombrées de platanes, accueillant un chemin, ce chemin doublant, à l'infini, le cours d'eau. Les écluses ponctuaient cette route. Les éclusiers, gardiens de ces eaux, manipulaient habilement les clés. Le miracle s'opérait grâce au jeu des portes, et les eaux se rejoignaient. Les portes se refermaient, attendant le prochain convoi. Les eaux reprenaient tranquillement leur place. Les péniches passaient, naviguant jusqu'à la prochaine écluse, emportant leurs mystères de voyages et d'aventures.
Je voguais avec elles et habillais mon imaginaire de tous ces questionnements rêveurs. Tout ceci, déjà propice à des évasions enchantées, s'enrichissait de ce que me disait ma mère, au bord d'un autre canal, celui de Lalinde, doublant la rivière Dordogne. Elle me racontait son grand-père, navigateur sur une gabare, remontant jusqu'au port ultime, livrant les marchandises. Elle me disait le chemin de halage, les chevaux tirant les bateaux, le long de cette voie d'eau.
Les voyages dans la famille, à Agen, en rajoutaient. Sans jamais me lasser, je contemplais le pont canal. Un pont transportant de l'eau, enjambant la Garonne ! Il y avait là de quoi fasciner une petite fille. Il n'y avait pas eu encore de voyages dans l'espace, et la télé balbutiait seulement.
Plus loin, le seuil de Naurouze. Le partage des eaux. A l'origine, pour marquer la séparation entre les eaux coulant vers l'Atlantique et les eaux allant vers la Méditerranée, soulignée par l'écluse de la Méditerranée, et l'écluse de l'Océan.
Ces deux Canaux, du Midi et de la Garonne, enfin réunis, baptisés Canal des deux Mers, ces noms d'écluses, ce partage, illustrent bien une parole de notre fille.
Comprenant les attaches méditerranéennes de son père et mon amour indéfectible pour l'Atlantique, elle dit, un jour :
« La mer de maman c'est l'Océan. La mer de papa, c'est la Méditerranée.»