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    -   Journal, mon cher journal, ne vois-tu rien d'écrit ?

-        Je ne vois que feuille blanche et plume dans l'encrier. Mais que t'arrive t il ? Aurais-tu le cerveau engourdi ?

-        Que veux-tu que je te dise ? Il ne se passe rien dans ma vie. Que veux-tu que j'écrive ? Rien à signaler, RAS, nada, nothing, nichts, le vide, le désert.

-        Mais si, réfléchis un peu voyons !

-        Quoi ? Rien, je te dis, rien de chez rien ! R.I.E.N !

-        Bon, je vois que tu as décidé de me laisser faire à ta place. Mais je t'avertis, ne viens pas me reprocher, après, que mes idées sont nulles, ou je ne sais quoi du même style.

-        Moi, pfuitt. Tu exagères. J'ai toujours apprécié les services que tu me rendais.

-        On dit çà, on dit çà…tu ne te rappelles pas les gros yeux que tu m'as fait quand j'ai écrit que tu avais plagié Col…

-        Oui, bon çà va, çà va. Je te promets, cette fois-ci, je ne dirai rien. Tu es content. Alors qu'attends-tu pour commencer. Mais que fais-tu ? Non, ne tourne pas la page !

-        Hihihi, tu as eu peur. Si tu savais ce que j'ai vu derrière ta page blanche, hihihi.

-        Comment es-tu revenu ? Rien de fâcheux ne t'est arrivé ? On m'a toujours interdit de tourner la page, tant que celle-là serait toujours blanche.

-        Et bien, vas y toi-même, vas voir de tes propres yeux.

-        Tu es sûr que je peux, qu'il ne va rien m'arriver ?

-        Mais non, vas-y, un peu de courage, voyons !

-        Bon, dis-je, tournant la page d'une main tremblante.

Alors là, mes amis, quel spectacle !

Victor Hugo rageusement froissait des feuilles,   faisait des boulettes, les lançait, visant  sa corbeille à papiers.

Colette découpait des guirlandes dans des feuillets emplis de son écriture,  décorait  un sapin, comme si c'était noël.

George Sand fabriquait des cocottes en papiers, on y devinait l'esquisse d'une histoire de mare.

Alexandre Dumas mâchait des morceaux de papier, de l'encre violette dégoulinait sur sa chemise.

Balzac tentait de reconstituer un puzzle avec des bouts de papier pas plus grands que des confettis.

Quand ils me virent, tous furent stoppés dans leur activité.

Tous, sauf un, qui écrivait, écrivait. Sa plume grattait le papier.

Je me penchais sur sa feuille. Je lus :

Je m'appliquerai à bien écrire

Tu t'appliqueras à bien écrire

Il s'appliquera

Nous nous appliquerons

Vous vous…

D'autres pages étaient déjà pleines de signes écrits. Je lus: Tu t'appliques à bien écrire, ou bien Nous nous appliquions, ou encore Elles se furent appliquées à.

-        Mais pourquoi écrivez-vous donc cela, monsieur ?

-        Ils m'ont puni.

-        Puni?

-        Ils disent que j'écris mal. Qu'ils n'arrivent pas à me relire. Qu'ils ne veulent pas perdre de temps à déchiffrer mes pattes de mouche. Alors ils ont décidé de cette punition.. Je dois conjuguer à tous les modes et à tous les temps de la conjugaison française ce que vous venez de voir.

-        Quoi ? Mais c'est scandaleux ! Ce ne sont pas eux qui écrivent ! Mais mon pauvre monsieur, révoltez-vous ! Dénoncez cette situation !

-        Hélas, c'est impossible. Si j'agissais comme vous dites, je mettrais ma vie en danger.

-        En danger ! En plus de tricher, ils osent vous menacer. Je vais aller leur dire deux mots à ces gens-là.

-        Je vous en supplie, n'en faites rien.

-        Bon, comme vous voudrez. Mais dites-moi tout de même ce que vous risquez. Je peux peut-être vous aider, malgré tout.

-        Et bien voilà ; si je les dénonçais, ma vie serait pire que celle que j'ai aujourd'hui. C'est ma femme…

-        Votre femme ?

-        J'ai dû m'enfuir de chez moi ; ma femme, lorsqu'elle était en colère après moi, et cela lui arrivait souvent, me faisait faire et refaire des heures durant la dictée de… vous voyez. Un jour,me dictant, pour la énième fois, les mêmes mots, les mêmes phrases, elle s'est endormie. Je n'ai pas hésité. Je me suis enfui.

-        Et vous êtes tombé sur eux. Ce qui ne vaut pas mieux.

-        Détrompez-vous. J'adore écrire, inventer, imaginer. Je suis mon maître. J'écris ce que je veux, quand je veux, où je veux, sur des sujets que je choisis. D'ailleurs quand vous m'aurez quitté, je vais raconter votre histoire.

-        Mon histoire ? Et que savez-vous de moi monsieur ? Je ne vous ai rien dit.

-        Oh, ne vous en faites pas pour cela. Pour tous ceux qui tournent la page et viennent me voir, je devine toujours. Pour vous, j'ai déjà trouvé le titre, LA CRAMPE DE L'ECRIVAINE Au-revoir madame.

Furieuse, je tournais la page dans l'autre sens ; et quelle ne fut pas ma surprise de voir que la page blanche s'était noircie.

Mais quelle écriture ! On aurait dit celle d'un chat.

Et oui, ma vieille, reconnais-le, tu écris comme un chat. MIAOU

 

Tag(s) : #Textes des auteurs
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