Pouah….encore un désaxé qui pose sa main sur mon illustre derrière…je les repère de loin ceux-là…d'abord ils rodent autour de ma statue, faisant semblant de s'intéresser à mes voisins, un cloclo tout étincelant de paillettes dans une pose improbable inspirée par une de ses horribles chorégraphies et une Dalida au décolleté vertigineux mais au port de reine qui n'admet aucun manque de respect. Puis, dès que la foule se déporte ailleurs – c'est fou comme la race humaine se conforme à son instinct grégaire- ils rappliquent et pof ! je sens sur mon fond de culotte une pression plus ou moins vive selon la timidité de l'individu. Cela va de la caresse à peine perceptible à la grosse claque vulgaire.
« Les plus belles fesses du musée » avait titré le Figaro lors de l'inauguration de notre figurine.
Ces gestes déplacés, je les crains, mais pas seulement. Il y a des iconoclastes involontaires : ces petits bambins à qui on a acheté une énorme glace au chocolat qui fond plus vite que leur capacité à absorber et dont la coulure atterrit immanquablement sur mon tissu quand leurs mains envahis cherchent désespérément une solution pour ne pas tâcher leurs vêtements. Il y a aussi ceux, adultes et enfants, qui profitant d'une pose des plus familières, le bras autour du cou ou autour de la taille pour se faire photographier, en profitent pour essuyer leurs nez chargés, maculant le blouson de ma star ou pour les plus petits mes propres fibres. Certains osent même discrètement extraire de leurs fosses nasales la substance gênante et après l'avoir rouler en boule, la glissent dans l'une de mes poches.
Les poches, parlons en, surtout la poche avant droite moins plaquée que les autres par la tension de mon tissu sur le corps de cire, est quotidiennement sollicitée.
Des fans y glissent des mots d'amour, rêvant qu'ils parviennent au modèle de chair et d'os.
Mais la plupart se lâche en insanités. Parfois la poche en question résiste car scellée par d'importuns chewing-gums.
Comment mieux décrire le calvaire que j'endure chaque jour ! moi, au départ si fière d'être muséifiée, j'ai fait mienne une pensée frappée au coin du bon sens : pour être heureux, vivons caché.
J'ai l'œillet éteint, la fibre terne et cassante à force d'immobilité.
Chaque soir, après la fermeture au public, deux yeux aguerris inspectent les statues une à une. Dans un bloc note elle consigne l'état général dans lequel elle nous trouve. Ça peut aller du R.A.S, a besoin d'un rafraîchissement.
Après le verdict, certaines d'entre nous sont emmenées délicatement au laboratoire. La plupart réintègre la salle d'exposition dès le lendemain matin.
Panique à bord la première fois que ça nous est arrivé, ma statue et moi. C'était la faute d'un sale garnement qui a essuyé ses mains pleines de glace à la fraise juste en dessous de ma poche droite. La nuit même, une lingère m'a désolidarisé de l'effigie et a procédé à mon nettoyage à sec avant de me replacer sur le mannequin rafraîchi lui aussi. J'en étais quitte pour une sacrée trouille.
Une rumeur parcours le musée, sautant de statue en statue. Les effigies politiques, Obama Poutine et Sarkozy ne prennent pas la peine de la relever. Ils ont d'autres chats à fouetter, une élection à mener. Pour les têtes couronnées, le sujet est tellement trivial que personne n'ose l'aborder, pas même les pièces rapportées. Par contre on s'agite dans le landernau des artistes, surtout au rayon variété. Les statues dont le regard embrasse le drame qu'elles pressentent essaient désespérément de clore leurs paupières. Cloclo, dont la notoriété est au top a dégainé son téléphone qui faussement pleure, Dalida le remet vertement à sa place. Le mal est fait, ma statut a pigé et moi à fortiori.
Les yeux aguerris, comme d'habitude nous inspectent sauf que la revue de détails achevée, ils reviennent vers Jessie. Jessie, même moi qui ne suis qu'un jean sensé n'avoir ni oreille ni vision, je connais. Jessie qui a su enrichir le rap par le slam avec des tendances rock inspirées de classique. Un Jessie trop consensuel, fatale erreur, le mélange des genres ! Un disque de platine, un disque d'or puis plus rien. Fulgurance de la notoriété.
Son crayon se fait mine, mine des mauvais jours….Les stars se bousculent au portillon….elle prend sa décision…Has been.
Je ne savais pas…Disparaître ainsi, le top cinquante...la mode qui passe….Ici aussi, on est rien…
C'est la première fois que j'assiste à ça, alors je ne sais pas… lui ne bronche pas, résigné, elle, celle qui décide de tout, écrase discrètement une larme naissante.
Si encore un fan-club l'avait réclamé, mais là ? Elle écarte impuissante ses bras avant de se retourner vers deux malabars qui sans état d'âme ôte le faux Jessie de la salle d'exposition.