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J'ai une place particulière dans sa garde-robe. Jamais elle ne me range avec le monceau de vêtements dont, pour la plupart d'entre eux, elle oublie jusqu'à l'existence. Beaucoup n'ont jamais été portés, d'autres une seule fois pour une séance photo.

Moi, j'ai l'insigne honneur d'être glissé sur une des barres transversales du valet de nuit qui jouxte son lit.

J'assiste à son coucher, fier autant que les privilégiés admis dans la chambre de Louis XIV. J'attends qu'elle s'endorme avant de me détendre, les jambes pendant dans le vide.

 

-         Aïe, vous m'étouffez !

-         Qu'y puis-je ? elle m'a placé au dessus de vous.

Je dois bien le reconnaître, ce jean qui me compresse n'a pas tord. Pouah, il sent le neuf !

C'est le pompon, maintenant il se la pète. Il en a plein la bouche de ses deux étiquettes commerce équitable et coton bio…

Commerce équitable ! Mon cul, oui ! Une nouvelle manière d'appâter les acheteurs bobos, de faire chauffer leurs cartes gold plus que de raison et de leur procurer suffisamment bonne conscience pour leur permettre de se vautrer dans leur petit confort égoïste.

Si j'exagère, moi !

Et puis il y a l'autre étiquette sur laquelle il ne tarit pas d'éloges : COTON BIO.

Sait-il ce bouffon que sa matière première vient du Congo, qu'une fois tissée en Italie, elle a été se faire teindre ailleurs, discrètement bien sûr pour un coton qui se veut respectueux de l'environnement,  puisque à part le bleu indigo, un pigment naturel non polluant, les autres couleurs obtenus à base de produits chimiques nocifs sont à l'origine de la mort prématurée des esclaves de cette industrie sans foi ni loi. Ce n'est pas tout, ensuite il a été se faire délavé en Turquie par du sable bombardé à haute pression sur ses fibres mais aussi dans les bronches des forçats de l'usure artificielle.

Je proteste. Moi dont le coton n'est pas bio et qui ai été fabriqué de A à Z sur le même site en Chine, pays qui ne respecte pas beaucoup les droits des travailleurs ni l'écologie, pourquoi ne revendiquerais-je pas un label quant à l'économie de transport réalisée.

J'ai cloué le bec à l'orgueilleux, il s'est un peu tassé en proie à une intense réflexion. A vrai dire, j'ai un peu pitié de lui, il est si nouveau dans ce monde complexe à comprendre.

J'ai décidé de me radoucir et de lui expliquer comment se comporter pour durer le plus longtemps possible, seule manière de réduire l'impact délétère que sa confection a engendré. Avec un peu de chance et si sa coupe plait encore, il sera vendu et revendu sur Internet ou sur un étal de vide-grenier. Au fond, la seule étiquette qui lui garantit un tel destin est celle de sa marque : Levi's.

 

Je croyais, puisque depuis quelques jours elle enchaîne les concerts les jambes gainées par mon nouveau compagnon, qu'elle se désintéressait de moi.

Décidément, je ne vaux rien comme voyant !

Ce matin, une dame est entrée dans la chambre avec elle. A part la femme de ménage, personne n'a le droit d'en franchir le seuil, même pas l'amant du moment qu'elle entraîne dans une sorte de boudoir consacré à ses relations intimes. Elle garde jalousement son pré carré et tous les trésors qu'elle y entasse. Je l'ai souvent entendu murmurer combien ce havre de paix lui était salutaire pour se désintoxiquer de sa vie de star du rock.

Alors, une étrangère dans sa chambre ! Une étrangère qui inspecte minutieusement toute sa garde-robe et qui  prélève des vêtements et des chaussures a de quoi surprendre. A mon tour elle me choisis et m'engouffre dans une valise. Que va t'il encore m'arriver ? 

 

Ah, je revis, je suis à nouveau sur ses jambes. Pourquoi ces dernières sont-elles si froides et statiques ? Quel est cet endroit bizarre dans lequel je fais tapisserie en compagnie d'autres personnes immobiles.

Il y a foule autour de moi, des flashs crépitent…Une femme tente de se frayer un chemin, on s'écarte pour la laisser passer. Mais c'est …

Elle examine l'ensemble longuement sous toutes les coutures du haut de la perruque à la pointe de boots noires et blanches improbables, mélange de croquenots et de bottines de pétroleuse avec l'œil d'un adjudant vérifiant la tenue de ses troupes avant l'arrivée du général.

.Elle saisit le micro. Autour d'elle le silence se fait

« Je suis émue d'être admise dans un lieu si prestigieux par le biais de ce corps en cire plus vrai que nature…Je remercie…. »

Ainsi de mon vivant je suis muséifié, panthéisé…je n'en attendais pas tant !

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