J'étais las de la vie, son ombre et le monde
J'avançais à pas mesurés
Pour me délecter des courtes secondes
D'esprit, rare denrée
Perdue dans la mélasse chaude et confortable
De mon doux nid.
J'étais las, mou d'une mollesse palpable
Le cœur mu par le dénie
Je confondais ma sombre lassitude
Avec la saine fatigue
Et jour après jour, laissant faire l'habitude
Devant la marée j'élevais des digues.
Un canapé ferme accueillait mon gras
Par ondes ou câble interposés
J'embrassais sans avoir de bras
Le désir et la chair grisée
Des autres qui vivaient pour moi.
J'entassais encore et encore
Des objets à la place de l'émoi
Des fantasmes à la place du corps.
Le long de la route des ans
Pour donner un sens aux break et pavillon
J'ai glané une femme et des enfants
Alibi respectable à mon gras bidon.
Et puis un jour la digue a cédé
Sous le flot bleu d'une sirène
A l'éclat vert d'éternité
Aussitôt elle devint la reine
De mes nuits lentes et sereines
Mon cœur s'émut de lui-même
Balayé l'attente des bouts de semaines
Chaque jour me disait : je l'aime.
Chaque jour au soleil nouveau
Je me disais va-t-elle se lever
Va-t-elle venir à nouveau
Ou va-t-elle m'oublier.
Jamais las de l'attente
Mon cœur sans cesse fébrile
Remuait l'âme jadis lente
Et rendait mon corps souple et docile
J'ai tout débranché
La télé, les consoles
La femme et les enfants attachés
Ont suivi des objets la farandole.
Nu comme le vers nouveau-né
J'ai hurlé ma soif d'air
Et elle me l'a donné
Comme une chose ordinaire.
Au haut de ses collines
Comme sur une île déserte
Les arbres ancrent leurs racines
J'ai accroché le désir de mon âme alerte.
Jour après jour l'amour liquide
Qui m'avait fondu le cœur
Devint sûr et solide
Et rêva du bonheur.
Pierre après pierre de peur que la mer
Ne me la reprenne
Une nouvelle digue sortit de terre
Et commença ma peine.
J'étais las
Et j'attendais la fin de la semaine
Pour l'avoir tout à moi
Lancinante et peu amène
Etait ma douleur
Cette peur atroce qui me hurlait
Pendant que tu travailles à son bonheur
Peut-être s'en est-elle allée
Et jour après jour le projet de la rendre heureuse
Se mue en secret espoir
De la garder même malheureuse
De la garder pour le seul plaisir de l'avoir.
La vie devin lasse, le monde devint obscur
Lâche et paresseux devant l'aventure
J'ai monté peu à peu, brique à brique un mur
Pour que ne s'échappe jamais ma créature.
J'avançais, las, et l'air se faisant rare
Je lui en demandais davantage chaque soir
Et elle m'en donnait plus que ma part
J'étouffais et je l'étouffais soir après soir.
Mon cœur en devint gras d'envie assouvie
J'avais faim et elle me nourrissait
Cela seul importait en ce bout de vie
J'avais faim et elle me nourrissait.