Sur la neige immaculée, quelques gouttes de sang.
Un moineau blessé avance en boitillant. Un peu plus loin, une petite botte rouge, juste en bordure du (lac) complètement gelée.
Des corbeaux se rassemblent sur les branches des arbres tortueux. Leurs cris sinistres s'élèvent vers le ciel blanc. Le village émerge alors que s'estompe le brouillard. La sableuse sillonne prudemment les ruelles.
'' Maman, j'ai---si froid. ''
Les volets clos.
Le chaton se déplace paresseusement dans la pénombre de la maison trop calme.
Sa fait sept jours que le silence remplace la colère et l'impuissance. Parfois, les sanglots se réveillent sous la couette rose. Les pilules ne calment plus la douleur blottie dans la chambre d'enfant.
Jean ouvre lentement la porte d'entrée pour éviter de faire du bruit.
Le chaton tigré roux vient se frotter contre ses jambes en ronronnant. Il lui verse de minuscules croquettes dans son écuelle.
Jean se dirige vers l'escalier qu'il monte, tristement. Un instant, il hésite devant la chambre d'enfant et pousse doucement la porte.
Comme à chaque fois qu'il entre dans la pièce, depuis une semaine, ses yeux mouillés de larmes se posent sur les jouets délaissés sur le tapis rond. Sur les quelques cadres photos, où la joie éblouit une famille réunie autour d'une fillette de huit ans.
Son regard n'évite pas les vêtements abandonnés sur la chaise. Et sur le bureau, des crayons de couleur pêle-mêle avec de la pâte à modelé, durcie.
Le jour filtre à travers les persiennes s'étendant finement sur le parquet vitrifier.
Jean s'assied sur le bord du lit et tire légèrement sur le haut de la couette. Clara est recroquevillée et semble dormir. Pourtant, des larmes coulent sur ses joues creuses.
Délicatement, Jean caresse la tête de son épouse qui ne réagit pas. Ne fait même plus l'effort de paraître. C'est tout son être qui a perdu l'expression de la vie. Elle tient serré contre son cœur, le doudou clown de sa petite fille Valentine.
Sept jours plus tôt.
Un mercredi ensoleillé malgré la fraicheur matinal. Le ciel est dégagé de tout nuage et paraît aussi (bleu) que les yeux de Valentine.
14 heures, la maman de Muriel sonne à la porte. Elle se charge de prendre dans son mini bus toutes les jeunes invitées, une dizaine, convié à l'anniversaire de sa fille.
Entre jeux de plein air dans le jardin et un gouter copieux, l'après-midi résonne de chansons et de rires.
En fin de journée, les enfants terminent leur dernière partie de cache-cache entre les arbres du verger. Les parents réunis dans le garage décoré pour la fête, discutent de leurs chérubins, une tasse de café, de thé ou de chocolat chaud entre les mains.
Soudain, un puissant crissement de pneus sur la chaussée détourne leurs regards. Alors que certains enfants tétanisés par la peur restent sur place, les autres appellent à l'aide en se précipitant vers le garage.
Cinq minutes plus tôt.
Un van noir peint de chaque côté de deux bandes rouges, s'arrête devant le portail du verger.
Une femme brune descend du véhicule, laissant la portière arrière ouverte, interpellant les enfants pour un renseignement. Elle se présente comme la nouvelle institutrice qui se rend à l'école Verlaine, justement celle des enfants.
Elle ne semble pas comprendre les explications de toutes les petites voix confuses. Elle demande à l'une d'entre elles de venir sur le trottoir, afin de mieux lui indiquer quelle route prendre au croisement.
Une fois près de l'inconnue, la fillette qui s'est dévouée pointe un doigt vers la bonne direction. Brusquement, cette dernière tire la petite fille par le bras et la pousse dans le van qui redémarre en trombe.
Les parents s'empressent vers le jardin. L'instant d'après, les gendarmes sont sur les lieux.
Avant de franchir le portail l'un d'entre eux ramasse, sur le bord du trottoir, (une chaine en or avec un pendentif en forme de cœur renfermant trois lettres : V. A. L.)
Ne voyant pas sa fille dans le groupe rassemblé devant la maison, Clara s'éloigne pour fouiller chaque recoin du verger en l'appelant, le cœur battant la chamade.
Elle s'arrête net, en voyant briller la breloque au creux de la main que lui tend le gendarme. Elle reconnaît le bijoux qu'elle a offert à sa fille Valentine, pour ses huit ans.
Aussitôt les arbres se mettent à tourner, le ciel s'assombrit, les bruits et les voix s'atténuent. Le sol se dérobe sous ses pieds. Nauséeuse elle tourne le dos au gendarme pour vomir. Puis fait deux pas en titubant et s'écroule à genoux dans l'herbe, en sanglotant.
Trois voitures blanches de la gendarmerie sillonnent le quartier, le grand ( boulevard) et toutes les rues du village.
Des voisins et des amis s'engagent sur les routes, d'un village à l'autre, pour retrouver le van noir et rouge. Mais en vain.
Les lumières des gyrophares traversent les carreaux des fenêtres de la maisons. Les sirènes des véhicules résonnent dans les cœurs angoissé de ce jeune couple meurtri.
Jean ne quitte pas le téléphone des yeux dans l'attente d'une demande de rançon. Clara s'est réfugiée dans la chambre d'enfant. Elle se revoit sur les lieux du drame sans rien pré-sentir du danger. Peu à peu, la morsure de la culpabilité la plonge dans un mutisme suicidaire. Sous l'effet des tranquillisants, elle dort sans plus s'alimenter. Surtout ne plus bouger, pour ne pas réveiller la douleur qui vrille son esprit d'une insoutenable inquiétude, impuissance. L'inlassable plainte sillonne son pauvre corps entravé de questions sans réponse :
Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Pourquoi avez-vous pris ma petite fille ?
Je vous en supplie---ne lui faite pas de mal---elle est si fragile. Mon Dieu ! Protégez mon enfant---
'' Maman ! J'ai peur ! ''
Une cabane isolée, abandonnée, de la mousse sur une tôle servant de toit et sur les murs crevassés. Pas de fenêtre, juste une porte en bois aux ( charnières) rouillées.
L'intérieur est sommairement aménagé pour y vivre, temporairement. Une lampe à pétrole éclaire la pièce et du bois brule dans la cheminée.
Un matelas souillé sur un lit en fer. La petite fille y est allongée sur le dos, les bras et les jambes tendus attachés aux quatre coins du lits. Inconsciente, mais vivante.
( Installé sur une chaise, les jambes tendues, les pieds nus posé sur la table, un homme lit le journal.) Ses yeux caché par une paire de lunette aux carreaux sombres, scrutent les pages. Un sourire vicieux se dessine sur son visage. Il a trouvé l'article qui relate l'enlèvement de sa jeune captive. Aucun indice ne le suspecte avec sa complice. Bien sur il est fait mention du van aux bandes rouges. Mais ce détail n'est pas gênant depuis qu'il a décollé les bandes de couleur, pour les remplacer par un discret logo d'une marque de garage.
Soudain, le bruit d'une clé dans la serrure, la porte s'ouvre sur la femme brune.
J'ai le matériel et de la nourriture pour une semaine. On va pouvoir s'éclater !
Elle prend la caméra et se prépare à filmer. L'homme aux lunettes se lève et se dirige vers le lit. Tapote les joues de l'enfant qui ouvre difficilement les yeux, sous l'effet du chloroforme se dissipant peu à peu. Il affiche encore un sourire pervers et démoniaque, en posant ( à mi hauteur du visage de la petite victime, un voile noire.) Le voile de la soumission, du silence, de la souffrance.
Le temps semble s'être figé dans le village où la disparition de Valentine, attriste et révolte.
Aucun corps n'a été retrouvé. Aucune rançon n'a été exigée. Le mystère reste entier et les agresseurs rodent toujours.
La petite botte rouge récupérée dans la ( glace) en bordure du lac, est bien celle de l'enfant, selon l'équipe scientifique du service de criminologie. Certainement déposé là par pur cruauté.
Trois mois plus tard.
Les journaux titre, l'enlèvement d'un garçonnet de sept ans, à l'école.
Alors que la maîtresse rentre et sort plusieurs fois de la classe, pour préparer le matériel qui doit servir au cours de sport, dans la cour de l'école. Certains enfants jouent à se courir après. D'autres installé sur le sol goudronné s'échangent des billes.
La journée est ensoleillée. Les premières jonquilles s'élèvent fièrement dans les massifs alentour. Sur un ban deux fillettes croquent à pleine dents de belles (pommes jaunes marbré de rouge.)
Dans la classe, le téléphone sonne. La maîtresse pose le ( chronomètre) et décroche le combiner, tout en surveillant ses élèves par la fenêtre entrouverte.
Un moment d'inattention, un moment un peu trop long et la tragédie se répète.
La maîtresse tourne le dos, baisse la tête pour écrire une note sur son bureau.
Une voiture rouge s'arrête doucement devant la grille de l'école primaire. Une dame brune sort du véhicule en laissant la portière arrière ouverte. Elle interpelle gentiment les enfants les plus proches. Elle se renseigne où trouver le bâtiment de la cantine scolaire. Elle ne semble pas comprendre les explications des petites voix confuses.
Elle propose qu'un enfant la rejoigne sur le trottoir pour lui indiquer l'endroit. Mathias se dévoue et tire la grille qui n'est jamais fermé. Il pointe son doigt vers la rue en question.
La maîtresse raccroche le téléphone et relève la tête, juste au moment où l'inconnue tire le garçonnet dans la voiture. La portière claque. La maîtresse crie et se précipite dans la cour. Les enfants paniqués s'éloignent de la grille. Lorsque l'institutrice arrive sur le trottoir, la rue est déserte.
L'inspecteur de la criminelle fait vite le rapprochement entre les deux enlèvements. Même mode opératoire, même récit des jeunes témoins.
'' Maman, j'ai---tellement mal. ''
Sept jours plus tard.
Le (chien en toile rouge à rayures vertes, sur quatre roulettes) , ne parvient pas à calmer l'enfant qui ne cesse de pleurer, en implorant sa maman et son papa de venir le chercher. Il est attaché par une cheville à une chaine solidement fixée au mur qui, à force de tirer dessus, lui arrache la peau. Son corps tout frêle tremble et par moment il claque même des dents.
Depuis deux jours il refuse de manger et a constamment la diarrhée. Il n'est plus que son propre fantôme, blanc, les yeux creux et marqué de cernes bleuâtres.
Il va falloir prendre une décision !
S'exclame la femme.
Celui là ne fait vraiment pas l'affaire. Je ne supporte plus ses jérémiades. Je veux que tu t'en occupes, rapidement !
L'homme aux lunettes sombres ne répond pas. Il ramasse une ( corde ), celle qui sert à amarrer la barque dans l'étang proche de l'abri. Il tourne la corde autour de ses larges mains, la tend et s'approche de Mathias qui est accroupi au sol, sur la terre battue. L'enfant sanglote en regardant son tortionnaire, les yeux rempli d'effroi.
Des voitures de la force de l'ordre sont garées sur le sentier, près des fourrés où est dissimulé la cabane des ravisseurs.
Un haut parleur avertit le couple de leur présence et de l'intervention imminente de la brigade armée.
La porte s'ouvre, les deux criminels sortent les mains en l'air et sont immédiatement terrassés et menottés.
Trois militaires de la gendarmerie pénètrent dans l'abri l'arme à la main.
La lampe à pétrole éclaire faiblement l'intérieur. Assez pour distinguer l'endroit vétuste. La cheminée où se meurt une buche presque consommée. Une caméra trône sur la table au milieu de bouteilles d'alcool. De la vaisselle sale dans un évier d'appoint. Un bac rempli d'eau où flotte un seau. Les portes ouvertes d'une armoire sur des victuailles.
Le lit en fer au matelas taché de sang et d'urine, de la peur ligotée, bâillonnée, sacrifiée---de l'enfance.
Dans un renfoncement du mur, sur le sol , une forme inerte. Un militaire allume sa lampe torche et éclaire Mathias, allongé sur le dos, une corde autour du cou. Il s'agenouille pour vérifier si le petit garçon respire encore, et tristement hoche la tête, négatif.
Un autre militaire promène le faisceau de sa torche vers le lit, en dessous. Il tend l'oreille, se plaque au sol, stupéfait, il découvre deux yeux brillants qui l'observent.
Il se glisse sous le lit et tend le bras, la main. Mais la forme se rétracte contre le mur, terrifiée.
Je suis là pour t'aider. Je vais ---te ramener à tes parents.
Murmure t-il ému.
Pas de réponse. Aucun mouvement. Le jeune militaire décide de sortir de dessous le lit, qu'il contourne une fois debout, et le pousse doucement pour libérer la victime.
Une petite main osseuse et sale se dégage de l'obscurité et se tend, ouverte.
J'ai faim---
Le jeune militaire s'approche, s'accroupit, pose sur le sol la torche qui éclaire une petite fille en haillons, qui le fixe de ses yeux bleus.
Valentine !
Il tend une main vers la fillette qui aussitôt se débat en criant.
Non ! Ne me touche pas ! Non ! J'ai mal ! Non ! Non ! Ne me touche pas !
Séquestrée, violée, brutalisée, témoin du meurtre de Mathias. Il faudra des années pour établir le dialogue et d'autres années pour approcher physiquement Valentine.
Devenue adulte, une seule motivation maintien son équilibre, devenir gendarme. Elle rentre dans les forces de l'ordre avec succès.
Quelques années plus tard, elle a trente ans.
Un matin, sur son bureau, son (agenda) ouvert à la page du 17 : '' Survivance---n'est pas Vivre. ''
Aujourd'hui, elle doit convoyer deux meurtriers de la prison jusqu'au palais de justice, pour comparaître en cours d'assises.
Deux heures plus tard le verdict tombe, libération pour bonne conduite pour ces deux criminels qui ont déjà purgé 25 ans de prison. Il s'agit d'un homme à lunettes aux carreaux sombres et sa complice, une femme brune.
Valentine traverse lentement,d'un pas assuré la salle d'audience. Au milieux des avocats, du juge, des jurés, des gendarmes et du public indigné.
Le regard de Valentine est glacial face au couple souriant qui lui tendent leurs poignets. Elle sort doucement de sa poche, la clé de la liberté pour ces deux monstres et l'enfer avenir pour les prochaines victimes.
La clé glisse de ses doigts et tombe sur le sol, résonnant sur le carrelage. Elle saisit son révolver et tire sur l'homme plusieurs fois, à la tête. Puis pareillement sur la femme.
L'effet de surprise est totale.
Avant qu'un gendarme n'interrompe son geste, elle retourne l'arme contre elle et tire, en plein cœur.