A trente-six ans, le temps ne vous attend plus. Jeanne le sait plus que quiconque. Après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts, un frisson lui parcourt l’échine à la pensée de rentrer chaque soir dans un appartement vide.
Au cours de ces dernières années, elle s’est effeuillée plus que de raison. Elle a embrasé son corps et ceux de ses amants jusqu’aux lueurs du jour. Sa chair a exulté mille fois. Dans des latrines, dans des cabines d’essayage, dans des halls d’immeuble, dans des tourelles vertigineuses, dans les endroits les plus incongrus qui soient, elle s’est alanguie et a joui du plaisir qu’elle a reçu. Elle n’en tire aucune fierté, aucun panache.
Aujourd’hui, qu’en reste-t-il ? En son sein, nulle fontaine. Des cendres et rien que des cendres. Ses certitudes menacent de s’effondrer. Qu’a-t-elle voulu faire de sa vie ? N’a-t-elle été qu’un jouet servile entre les mains de ces amants ? Le plaisir ne fait pas tout. L’heure est grave. Jeanne prend conscience de ses erreurs et de bien plus encore.
Le temps de la construction est venu. Jeanne le veut plus que tout. Ce besoin se fait sentir jusqu’au plus profond d’elle-même. Pressent, vivace et violent, il ravage ses entrailles sans concessions. Sous le joug de ce nouvel appétit, elle se sent frêle, larve parmi les larves. Aura-t-elle la force d’être plus forte que la vie ?
Que Dieu lui en soit témoin, la peur n’aura pas raison de ses rêves ! Aussi vaseux soient-ils, ils doivent prendre vie dans le sillon vermeil de ses veines. Dans l’antre de son sein, ils doivent naître tel un volcan trop longtemps éteint. La sève éternelle couronnera la vie de Jeanne. Qu’il en soit ainsi !