Je revoie avec nostalgie cette école,
Aux longs couloirs pleins d’images et de mots, sentant bon la cire.
J’avais deux ans et ce sentiment étrange que j’y trouverais les clés qui m’ouvriraient les portes de l’insolite.
J’appris la magie des mots, et décodais avec ravissement chaque phrase, chaque mot qui se montrait à moi.
A cinq ans, après avoir pleuré toute les larmes de mon corps
J’eus accès à la bibliothèque du quartier.
Alors,
Armée de cette petite carte rose qui vous ouvre les portes du paradis, je me rendis fièrement en ce lieu étourdissant.
Une dame en tailleur gris se tenait derrière un long comptoir emplis de livres de toutes tailles. Elle me fit visiter son temple et m’expliqua avec patience comment m’orienter dans ce haut labyrinthe.
Les étagères les plus hautes contenaient des livres anciens. Ils ressemblaient à des grimoires sertis d’or et de diamants. Seul les grands pouvaient y accéder et je me demandais qu’elle magie ils recelaient.
Elle m’observa un moment, puis me laissa déambuler en lieu à la recherche de la perle rare. J’avançais lentement en laissant courir mes doigts sur chaque ouvrage.
Puis, me laissant guider par mon instinct, j’en saisissais un et le reniflais à la recherche d’odeurs connues.
Certains sentaient l’herbe fraîchement coupée, le feu de bois, le café ou la suie. D’autres avaient le parfum poussiéreux et humide de ces vieilles demeures du bord de mer. Enfin, avec d’infimes précautions j’en caressais les pages que j’aimais fines, presque craquantes ou parcheminées et usées par le temps.
Ensuite Je m’autorisais à en lire trois pages au hasard pour mieux en saisir la musique. Si la mélodie convenait à mon humeur, alors seulement je m’installais dans de profonds coussins et me laissais emporter vers d’autres cieux.
De livres en livres, de page en page, j’ai découvert les mystères de la vie mais aussi de la mort.
Longues chaines de moments volés, de volupté, envoûtement, j’avais le sentiment de suspendre le temps, de me fondre dans l’air et de voyager par-delà les frontières de ce monde.
De livre en livre, de page en page j’effleurais les étoiles et visitais l’infini qui me guidait au pays de l’Otium, là où tout est possible, là où les mots écrits à l’encre de sagesse me libéraient de mes doutes.
Véritable parenthèse ouverte sur une immensité de possibles, j’aimais m’engouffrer dans des rêves béats en espérant qu’on m’oublie là.
La nonchalance qui m’habitait alors, surprenait toujours.
Entre fougue et talent, inconstance et infortune ces moments étaient pour moi art de vivre, vertu des sages, désir d’éternité aux doux parfums d’encens dans l’âcreté de la nuit.
Je me jetais dans ce le vide infini pour mieux comprendre le néant et flirter avec les gardiens d’un monde ou l’indolence est de mise.
Instants de grâce, souffle de vie qui efface les larmes. Je cherchais la magie pour faire danser mon cœur au-delà des chemins épineux d’un quotidien sans liesse.
Dans des songes édifiants je creusais mon nid pour naître à un univers ou sans retenue je goûtais l’instant présent.
Moment d’apesanteur, Véritable parenthèse sur l’infini, j’aimais revêtir cet habit de paresse et flâner au tréfonds de sa raison ou où je dépassais les frontières des codes établis.
De ma vie je ne veux rien dire, mais les seuls moments de quiétude dont je me souvienne sont ceux passés en suspension entre ici et ailleurs ou où rien n’entrave mes gestes.
De ma vie je ne veux rien dire mais de ma vie on en devine les stigmates.
Parfois vous pourrez entrevoir une lumière qui danse au fond de mes yeux. C’est le signe que dans l’anéantissement de mon être j’ai atteint les hauts lieux de la béatitude.
Surtout, ne déranger dérangez en rien cet état, faites-vous silencieux car les foudres du ciel pourraient bien s’abattre sur vos têtes.