« Ils savaient qu’écrire, ce serait désormais s’aimer car ils n’avaient pas le droit de se côtoyer. Ils embrasseraient le papier comme ils brûlaient de s’embrasser, ils attendraient la distribution du courrier comme ils s’attendraient sur le quai d’une gare. »
N'eut été le risque d'être pris et l'absence insoutenable, elle se réjouissait presque d'en passer par des mots couchés sur le papier. Cela avait un charme désuet et il lui semblait que son amour en sortirait grandi. Elle s'y voyait déjà, chaque jour, assise, devant une feuille vierge puis couverte de mots d'amour. Elle y mettrait une goutte de son parfum préféré. Elle choisirait chaque phrase comme si c'était la dernière. Elle savait que chaque mot pourrait exprimer la force de ses sentiments et décupler la puissance de son désir.
Elle voulait lire aussi, ressentir derrière l'écriture enfantine de son amoureux la tendresse qu'ils avaient partagée dans leurs moments volés. Elle voulait trembler d'amour, sentir les battements de son cœur, le flageolement de ses jambes, imaginer ses mains parcourir son corps, effleurer ses épaules, masser sa nuque fatiguée, se glisser dans chaque recoin secret. Le délice et les affres de l'attente, de l'enveloppe déchirée, de la lettre dépliée laissant découvrir, petit à petit, la passion réfrénée, bloquée. Du fond de son cœur au creux de son ventre, elle savait que chaque syllabe déchiffrée se traduirait par un moment intense, une promesse de retrouvailles. Car c'était sûr, rien ni personne ne les sépareraient pour l'éternité. Il fallait juste tenir, ne pas céder, s'accrocher.
Il était à la fois perplexe, désespéré et inquiet. Il ne savait pas ce qui allait ressortir de tout ça. Est ce que cela suffirait de patienter? Et puis dire son amour par twitt ou sms, cent quarante caractères abrégés, c'était facile. La prendre dans ses bras et lui murmurer des mots enflammés, c'était passionnément agréable. Mais écrire! Il avait peur qu'elle se moque de son écriture enfantine, de son orthographe approximative. Comment le prendrait-elle, elle si brillante, si intelligente, lui si simple. Et pourraient-ils finalement se retrouver? Il aurait préféré fuir, l'emmener et pourtant il avait compris qu'elle lui en voudrait un jour. Pour l'instant il lui restait le papier. Mais cela suffirait-il? Ou allait-elle l'oublier?
C'était ce matin, c'était déjà si loin. Il sortit sa feuille de papier ligné. Il se mit à mâchouiller son crayon et les yeux dans le vague se perdit dans ses souvenirs, son sourire éclatant, ses frissonnements de plaisir, son coeur à lui prêt à éclater quand il se noyait dans ses yeux chavirés. Et dans sa tête ne venait que trois mots, toujours les mêmes: Je t'aime, je t'aime, je t'aime.