"Durant les jours suivants, elle s'acquitta de ses tâches quotidiennes à la façon d'une somnambule. Le silence dans la maison où se pressaient les souvenirs, se révélait insoutenable".
Et depuis lors, rien n'y fit. Tout demeura terne, sombre et sans vie. Aucun son ne la toucha plus. Comme si elle était devenue sourde à la vie.
Il y avait maintenant longtemps qu'un sinistre hiver habitait cette maison ancestrale. Construite avec amour, faite de pierres des champs, sa façade imposait en puissance. Elle donnait véritablement l'impression de pouvoir résister à tous les éléments déchaînés. Bien ancré, les deux pieds sur la pelouse aujourd’hui mal entretenue, j'aurais juré admirer un temple dédié à la force créatrice de la résilience, tout en prenant la photo à l’aide de mon numérique. Cette grande maison désertée était maintenant à vendre.
Pourtant, une fois à l'intérieur, c'était tout autre chose que l'on découvrait. Le pouvoir de la vulnérabilité s'y répandait en nuages de poussière sur tout ce qui avait une forme et une existence matérielle inerte, outre murs, planchers et plafonds. L'atmosphère vétuste des meubles, le style presque Victorien de la décoration en général, rendaient difficile la respiration de la vieille.
Des tas de souvenirs ensevelis sous des amas de fatras de vieilleries de toutes sortes jonchaient les coins et recoins de la salle commune. Même sous les tables basses du salon, s'y trouvaient des cartons fourrés de vieux papiers jaunis. Des coupures de journaux datant d'il y a plusieurs années. Des feuilles déchirées aux contours brûlés, paraissaient avoir été des lettres d'amour. Un curieux mélange, lourd de parfum de rose et de cendre, s'en dégageait toujours malgré les ans. Elles étaient calligraphiées à la perfection. On y sentait la recherche obsessive d'une main experte. Je t'aime à vouloir en mourir semblaient crier ces lettres attachées les unes après les autres. Cruel destin que celui d'attendre son heure, alors que l'autre est parti vers un voyage d'éternité, il y a déjà trop longtemps.
Assise en solitaire sur son rocking-chair d'un acajou foncé, elle se balançait d'avant en arrière, l'air de retourner dans le passé, voir s'il y était encore, lui, son unique et grand amour immortel. Et malgré son immense désir, au-delà ses rêves les plus fous et les plus merveilleux, il n'était plus là à ses côtés à lui tenir la main. Elle en avait encore un immense, un gigantesque chagrin, que même les ans, le vent, la neige et le froid, ni les saules pleureurs ni les rosiers en fleurs entourant sa magnifique demeure, n'arrivaient pas à épancher. Elle avait une telle soif de sa présence chaleureuse, et qui n'arrivait toujours pas, qu'elle se desséchait comme un pétale tombé près du splendide vase de cristal contenant ce si radieux bouquet séché de roses rouges, trônant dans le salon d'hiver.
Elle l'accepterait peut-être un jour. En attendant, elle s'obstinait. Elle espérait encore. Tout ce qu'elle désirait, c'était entendre sa chaude voix profonde lui murmurer à l'oreille...
"Je t'aime toujours si fort et si follement ma tendre, ma douce, ma chérie Rose sauvage de bois. "