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Durant les jours suivants elle s’acquitta de ses tâches quotidiennes à la façon d’une somnambule. Le silence dans la maison où se pressaient les souvenirs se révélait insoutenable

Les objets s’étaient rassemblés, rapprochés, collés l’un contre l’autre. Certains étaient empilés dans un essai maladroit de protection dérisoire, d’autres se cachaient, qui derrière le grand vase en porcelaine de Limoges, qui sous l’assiette décorée des vacances à Rocamadour.  La peur passée seule la colère restait.

Même la grande théière en argent l’avait bien fait comprendre : les anses fermées  sur ses flancs rebondis elle refusait de se faire astiquer et ne chantonnait plus doucement pour annoncer le tea-time quotidien. Elle avait regardé le carnage, avait tourné le dos et rejoint, drapée dans ses chiffons polissants, ses camarades exprimant leur colère par un silence assourdissant.

La svelte cafetière avait fait de même. Ses tasses et ses soucoupes autour d’elle, le service entier s’était enfui cahin-caha pour échapper à la destruction, et oubliant leur fierté outragée, s’étaient regroupés frileusement dans le coin de la vitrine, les tasses dans les soucoupes, les soucoupes sur les tasses, le service un peu ébréché mais encore vivant.

Il faut dire qu’elle avait fait fort : les assiettes avaient volé, le cristal avait été écrasé : sept ans de malheur ? Rien à battre. Une furie, une excitée, une folle. Tout par terrre, arraché des murs, descendu des étagères, sorti  des armoires. Faire le vide. Pas de vaisselle, pas de ménage ; pas de bibelots, pas d’époussetage ; pas de souvenirs, pas de regrets…

C’était il y a trois jours.

Les tintinnabulements tremblants s’étaient tus et toute la foule des souvenirs la regardait maintenant continuellement dans un silence réprobateur, regroupés derrière l’ensemble de couteaux Laguiole qui leur faisaient comme une garde rapprochée, une enceinte protectrice, un escadron vengeur prêt à en découdre. Pas touche

Alors elle s’acquittait de ses tâches, hébétée de ce silence, sa colère enfouie sous une couche de sidération devant la révolte des objets animés et qu'elle croyait inoffensifs: Fantasia ou la Mégère apprivoisée, elle hésitait et, en attendant de décider ce qu'elle était, si elle devait rire ou pleurer, elle essayait de ranger.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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