« Durant les jours suivants, elle s’acquitta de ses tâches quotidiennes à la façon d’une somnambule. Le silence dans la maison où se pressaient les souvenirs, se révélait insoutenable .»
Jeanne tapa ces quelques mots sur son clavier puis resta pensive. Elle se remémora les différents textes qu’elle venait de lire.
Elle s’était inscrite la veille à cet atelier d’écriture en ligne, pleine d’espoir. Cela faisait des années qu’elle cherchait un tel atelier près de chez elle, en vain. Elle était sur le point d’abandonner l’idée, persuadée que sa situation géographique rendait la chose impossible. Certes ici il y avait le calme, la possible contemplation propice à la création, la nature lui fournissait une sérénité souvent réparatrice mais elle devait se rendre à l’évidence : elle était loin de tout.
Son cœur s’était mis à battre la chamade quand quelques jours plus tôt elle avait croisé Bruno. Ils avaient bu un café ensemble au café du village.
Elle aimait bien le café du village même si elle n’y aurait pas passé sa vie. Il y avait Christian, le patron, ivre du matin au soir. Elle s’impatientait parfois quand il se perdait dans ses calculs pour lui rendre la monnaie alors qu’elle était pressée. Mais au fond elle trouvait cela assez savoureux. Il y avait Rosy, la patronne, qui lui annonçait inéluctablement la météo à venir à chacun de ses passages. Il formait un couple assez pittoresque, lui et son regard vitreux, elle avec sa coloration artificielle et son rouge à lèvres carmin qui débordait quelque peu de ses lèvres. Et puis il y avait les clients jamais très nombreux, changeant selon l’heure à laquelle elle passait acheter son tabac, car en réalité elle n’allait au café du village la plupart du temps que pour cela. Pourtant leur attitude était comme calquée, ils levaient un œil un peu méfiant de leur verre pour voir qui avait poussé la porte du bar, la saluaient avant de retourner à leur boisson et leurs pensées ou parfois à leurs discussions.
C’était donc en allant acheter son tabac qu’elle était tombé sur Bruno. Elle ne l’avait pas vu depuis plusieurs mois. Il l’avait invitée à boire un café en sa compagnie. Ils avaient discuté de choses et d’autres, de leur travail et de leurs familles respectives, et de fil en aiguille ils en étaient arrivés à parler d’écriture. Elle lui avait fait part de son envie de trouver un atelier d’écriture et des difficultés qu’elle rencontrait. « Pourquoi n’essaies-tu pas de chercher sur Internet ? », lui avait suggéré Bruno. La discussion avait continué encore quelques temps mais elle n’était plus là : elle avait hâte de rentrer chez elle et de se lancer dans ses recherches.
Pas plus tôt arrivée à son appartement, elle avait allumé son ordinateur et lancé sur le moteur de recherche « atelier d’écriture en ligne ». Après avoir consulté plusieurs sites, elle avait arrêté son choix sur le blog suivant : « Ecriture Créative ». Le principe semblait simple : toutes les trois semaines une proposition était donnée, soit sur un mot, soit sur un thème, soit sur une phrase, à partir de laquelle il fallait écrire un texte et le soumettre au groupe. S’en suivaient des commentaires possibles pour améliorer le texte ou encourager les auteurs à écrire. Le principe la séduisait assez. Il fallait au préalable écrire un petit mail d’une dizaine de ligne pour se présenter et faire état de ses motivations. Elle s’était mise immédiatement au travail et avait envoyé rapidement le mail demandé. Elle devait à présent attendre l’approbation des responsables. S’étaient alors écoulé quelques heures qui lui avaient paru une éternité tant son impatiente était grande. Elle ouvrait sans cesse Yahoo groupe pour voir si une réponse était arrivée. Rien. Elle faisait un tour sur les différents sites qu’elle aimait bien, tentant d’y trouver un dérivatif à ses pensées, en vain. Le doute avait fini par l’assaillir. « Et s’ils jugent que ma motivation n’est pas assez grande ? Et s’ils ne me répondent jamais ? Et si je ne suis pas à la hauteur de leurs attentes ?... » Enfin au bout de quelques heures l’approbation était arrivée. Il était déjà tard, elle travaillait le lendemain et devait se lever de bonne heure. La proposition ne correspondait pas vraiment à son état d’esprit du moment. Elle avait décidé d’éteindre son ordinateur et de laisser à l’inspiration le temps de venir. Elle avait eu du mal à trouver le sommeil, l’esprit habité par mille et une idées. Le lendemain elle était partie au travail, encore en proie à la bousculade de pensées. Enfin sa journée terminée, elle était rentrée chez elle, contente de pouvoir enfin s’adonner à son texte. En ouvrant Yahoo groupe elle avait découvert que plusieurs personnes avaient déjà soumis un texte sur cette proposition. A leur lecture elle fut fascinée par la diversité de ces derniers. Elle en était là de ses réflexions quand elle entendit la voix familière de son fils crier : « Maman ! Maman ! Viens vite le bain a débordé ! » Elle se précipita sur les lieux. En effet le bain avait non seulement débordé mais l’eau était passée sous les cloisons de la chambre de son fils et de la sienne. Le tapis sur lequel étaient éparpillés les Légos de son fils faisait « splotch splotch », les livres au pied de sa table de nuit étaient trempés. Elle courut chercher la serpillière et se mit à écoper. « Imaginaire, imaginaire » se dit-elle « Là, c’est plutôt la réalité ! »