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Quand Damien était tout petit, il aimait rester longuement devant la crèche dans le salon de ses grands-parents. Ses frères et sœurs jouaient avec leur cousine, ils découvraient dans des éclats de joie le détail des cadeaux qu’ils venaient de recevoir. Les parents et grands-parents prenaient le café en discutant. Lui seul restait accroupi devant la crèche, insensible aux cris des enfants comme à l’odeur des biscuits et du chocolat.

Les petits personnages de la crèche fascinaient Damien. Il aimait beaucoup le berger, comme il porte son agneau et l’amène devant le bébé. Il aimait aussi l’âne et le bœuf. Il écoutait Joseph parler à Marie : « J’aurais aimé avoir le temps de te construire un lit plus confortable que ce tas de paille, j’aurais aimé que tu sois bien installée avec ce petit. » Marie souriait et regardait l’enfant. Quand l’enfant pleurait, Damien soufflait tout doucement en même temps que le bœuf pour le réchauffer ou se mettait à chanter une petite chanson qui le consolait.

Les yeux écarquillés, le souffle court, Damien oubliait tout ce qui l’entourait ; il était bien étonné quand ses parents l’appelaient pour se préparer à aller au lit. Peut-être même rêvait-il alors de l’âne, des moutons et des anges.

 

Damien a grandi, ses grands-parents sont morts et la crèche est restée dans le grenier de la vieille ferme. Quand la période de Noël arrivait, il se réjouissait.  Il entendait alors parler de cadeaux, de sapin, de grands repas, mais comme les petites voix de la crèche lui manquaient : les premiers cris du bébé, Joseph qui s’inquiète, le berger qui conduit ses moutons, les passants dans les rues et le sourire de Marie…

 

Les années ont passé et Damien a eu à son tour un enfant. Il ne pouvait imaginer que son garçon ne découvre pas le mystère de la crèche. En vacances en Provence, il a retrouvé un berger, trois moutons, le simplet du village et bien sûr Joseph et Marie. Il les a tout de suite reconnus sur les étagères du marchand. Les santons, peints à la main, même semblables, sont tous différents, aucun ne ressemble à son voisin. Après les avoir achetés, Damien les a soigneusement rangés dans sa valise.

Cette année-là, il était impatient que l’été se termine. Lorsqu’il se promenait en forêt, il repérait les petits coins de mousse. A la fin de l’automne, il a installé quelques planches dans un coin de son salon. Il imaginait déjà les collines et le coin qui allait abriter Marie et Joseph. Soir après soir, il a mis en place chaque élément du paysage : la mousse sur les collines, le gravier des chemins, quelques arbustes… Le 1er décembre, tout était prêt. Marie et Joseph pouvaient commencer leur long voyage. Damien était heureux de les faire avancer sur ce chemin qu’il avait construit, ses deux petits personnages ramenés de vacances, ramenés du fond de son enfance, ramenés d’une vieille histoire qui le rendait joyeux.

Son fils, lui, jetait parfois un coup d’œil rapide sur la jolie mise en scène. Il aimait allumer les lumières ou prendre les moutons pour les placer sur son camion, sans plus… Il en fallait davantage pour décourager Damien ! Année après année, il a poursuivi sa collection : il a acheté le bœuf et d’autres moutons, puis l’aubergiste et son hôtel, ensuite des villageois, la fontaine et d’autres maisons.

Peu à peu, le salon est devenu trop petit et envahi de bestioles qui s’échappaient de la mousse rapportée de la forêt. L’épouse de Damien était bien compréhensive, cette entreprise rendait son homme si heureux qu’elle acceptait volontiers ce remue-ménage. Il lui semblait même parfois entendre le chant des anges, ou peut-être était-ce plutôt la flûte du petit berger. Pourtant, Damien a décidé de chercher un espace plus grand pour mettre en valeur sa passion et pour permettre à d’autres d’en profiter plus aisément.

Après avoir déployé son décor dans une entrée d’immeuble, puis dans le chœur d’une église, il a pensé qu’une salle d’école serait l’endroit rêvé pour poursuivre son aventure… Les enfants si curieux et imaginatifs sauraient accueillir son projet à sa juste valeur…

 

Pendant les vacances d’automne, dans la vaste entrée de l’école de son village, Damien installe des plateformes de bois, comme un grand escalier. Chaque soir, la scie et la perceuse retentissent dans les couloirs presque déserts. Il prépare la courbure des collines. Il découpe patiemment les morceaux de plastique qui formeront le fond des ruisseaux. Le papa de Damien vient souvent l’aider et ses deux garçons s’émerveillent de ce paysage en construction. Ils sont très fiers de pouvoir s’installer à l’intérieur des bâches de protection et aider leur papa en déposant les morceaux de mousse sur les bords des collines. Le matin, les écoliers curieux observent les changements et guignent entre les bâches ou par-dessous.

Les jours et les semaines passent, la date d’ouverture de la crèche approche. Les affiches sont placardées, les enfants s’impatientent… La cousine, devenue grande elle aussi, et institutrice, l’encourage et lui fait des clins d’œil en passant dans les couloirs. Damien est partagé entre l’excitation, le plaisir et une légère appréhension.

Le grand jour enfin arrive, les bâches sont enlevées et la crèche apparaît dans toute sa beauté, avec tous ses détails et ses petites surprises. Les enfants ralentissent en entrant dans l’école et poussent des cris d’admiration, les enseignants ne sont pas en reste et patientent en souriant. Damien savoure sa joie… « Quand je vois tous ces yeux d’enfants qui brillent, toutes les heures de travail sont mille fois récompensées…  Je croyais qu’en construisant cette crèche, j’allais donner du plaisir aux autres, mais j’en reçois tout autant ! C’est ça Noël, donner, mais aussi, savoir recevoir ! »

Dans les jours qui suivent, les visiteurs sont nombreux à venir admirer la crèche. Ils regardent, ils s’exclament, ils s’étonnent, ils s’émerveillent, ils posent des questions… Tantôt, Damien est prêt d’eux pour expliquer et raconter, tantôt il se tient en retrait, se contentant d’allumer les lumières et d’écouter de loin les voix qui murmurent tout autour de sa crèche.

Un petit garçon est resté longtemps à admirer les petits personnages, il a repéré ceux qui font de la musique, ceux qui travaillent et même ceux qui se reposent en douce… En poussant la porte, ce petit bonhomme marmonne et dit à Damien: « J’ai déjà construit un petit pont en lego pour ma crèche, mais quand je serai grand, je crois que j’achèterai plein de petits santons… »

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