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« Quand on partait de bon matin

« Quand on partait sur les chemins

« A bicyclette…

 

LES TEMPS MODERNES

 

Oui, il était tôt et j’avais ma bicyclette, ou plus exactement celle de Grand-Mère, avec son vaste panier d'osier sur le guidon mais avec moi, il n’y avait ni Fernand ni Firmin, ni Francis ni Sébastien et encore moins Paulette. J’appuyai mon vélo contre la clôture de bois et fermai consciencieusement la porte de l’enclos autour des rondins de laquelle s’enroulaient des liserons à peine réveillés. Grand-mère Janou le répétait cent fois par jour :

« Fermez bien l’enclos, sinon y m’faut courir derrière les chèvres et les poules toute la journée ! »

Et malgré ses 85 ans, Grand-Mère, quand l’un de nous laissait la porte ouverte, poussait un soupir résigné et courrait derrière la chèvre ou la poule ivre de liberté. Nulle comme elle n’avait l’art de ramener au bercail les infidèles assoiffées de grands espaces.

Les étables modernes, on n'en parlait pas ici. A la ferme on avait accepté la moissonneuse-batteuse parce que l'on ne pouvait pas faire autrement mais dans les chambres trônaient encore la cuvette en faïence avec son broc fleuri que Grand-Mère remplissait consciencieusement tous les jours. De même, le matin pour déjeuner, Grand Père tranchait une énorme miche de pain qu’il coinçait debout dans le tiroir de la table, coupait une gigantesque tranche odorante et y étendait du jambon fumé fait maison. Conseiller un couteau électrique ou un découpe jambon professionnel signifiait se faire un ennemi de mes aïeux.

Je remontai sur mon vélo antédiluvien et enfilai le chemin caillouteux qui portait au village. Le soleil, chaud déjà, bien qu’il ne fût que huit heures, arrachait des reflets argentés à certaines pierres. Dans les futaies, des cigales avaient déjà commencé à répéter leur chant; à midi l’orchestre battrait son plein.

Ce matin Grand Père avait besoin d’un fil de fer vendu seulement par Monsieur Roux, le droguier de Sanlac. Grand Père ne se fiait pas de la ville et des grandes surfaces.

« Savent même pas c'qu'ils vendent là-dedans ! »Ronchonnait-il souvent.

« Eh ! Tu as le diable aux fesses !

- Oh ! C’est toi, Martin ! » Je freinai et mis pied à terre pour attendre mon immense cousin arrivé de Paris la veille.

«  -Tu t’es levé de bonne heure !

- Eh ! Oui. Je voulais à tout prix essayer mon nouveau VTT sur vos routes. Tu l’as vu, il est splendide non ? Je l’ai pris avec toutes les options possibles, vingt vitesses, structure en alu. Avec ça je pourrais grimper sur l’Everest ! C’est un Shimano Grand Luxe

-Et toutes ces protections étaient en prime ?

-Non. J’ai tout acheté, la sécurité avant tout ! Et l’esthétique aussi ! »

Mon cousin frappa d’un air convaincu sur le casque qui couvrait sa grosse tête.

Un citron dans des bas à résilles fut ce qui me vint à l’esprit en observant le crâne chauve de Martin emprisonné dans sa coque aérée. Quant aux genouillères articulées vert pistache et aux coudières striées de fuchsia, elles faisaient de lui un moderne samouraï.

Quand nous arrivâmes au village, les commentaires des petits vieux fusèrent, la plupart en patois ce qui épargna à Martin certaines expressions colorées. Je ne pus m’empêcher de sourires aux quolibets des vieillards. Ici on admirait les coureurs du tour de France mais pour eux Martin n’était qu’un touriste déguisé. Pauvre Martin, il avait pourtant raison de penser à sa sécurité. Il répondit toutefois aux questions sur son VTT, heureux d’exhiber son monstre. Il accepta un verre de vin blanc et disputa même une partie de quilles.

Il était midi lorsque nous rentrâmes poussiéreux à la maison. Grand Père qui espérait avoir son fil plus vite bougonna bien un peu mais la vue de son neveu multicolore le mit en joie.

Grand-Mère, maugréa contre ces engins modernes qui ne ressemblaient à rien, râla qu'un fichu ou un béret suffisaient bien à protéger une tête et nous envoya nous laver comme si nous avions dix ans.

Durant le repas Martin dut répondre à un appel téléphonique.

«  Ah ! Ces téléphones portables, ronchonna Grand-Mère. Ca ne te laisse même pas manger en paix ! »

Martin annonça au grand dam de Grand-Mère qu'il devait rentrer à Paris et me laissa l'honneur après de nombreux conseils de remiser son bolide ce que je fis avec un soin religieux.

Le lendemain matin, mon père qui était à la fenêtre eut une exclamation de surprise et se mit à tousser risquant de s’étrangler avec son petit-déjeuner. Il indiquait la cour avec son doigt sans réussir à prononcer un mot.

Mon pain à la main, je m’approchai de lui et regardai dans la direction qu’il indiquait.

Coralie, une petite chèvre brune dont le ventre rond balançait de droite et de gauche courrait heureuse hors de l'enclos dont la porte était ouverte.

Tout en lançant de vigoureux « Teh, teh », Grand-Mère, penchée sur le guidon, pourchassait Coralie, chevauchant le Shimano avec une grande élégance !

 

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