Dans la boîte, trois cailloux, un bleu, un blanc, un rouge. Trois feuilles blanches.
Marie en prend une et lit les mots rouges.
Si j'étais rouge, je serais le Petit Chaperon.
Si j'étais rouge, je serais le sang neuf qui circule dans tes veines.
Si j'étais rouge, je serais la révolution permanente.
Si j'étais rouge, je serais ce coquelicot porté en signe de deuil, en hommage aux britanniques victimes des guerres.
Si j'étais rouge, je serais les cerises du chant « Le temps des …
Si j'étais rouge, je serais la coccinelle, amie des jardins.
Si j'étais rouge, je serais le rouge à lèvres des baisers.
Si j'étais rouge, je serais le rideau d'un théâtre.
Si j'étais rouge, je ne serais jamais la colère, qui est mauvaise conseillère ;
Si j'étais rouge, je ne serais jamais le rouge de la honte, qui détruit.
Sur la feuille où sont écrits des mots bleus, elle lit :
Bleus comme tes yeux.
Bleus comme le ciel d'une peinture italienne.
Bleu comme l'Océan Atlantique.
Bleu comme une orange.
Bleu comme les rêves.
Bleu comme le Lotus.
Bleu comme le Beau Danube.
Bleu comme le Grand Bleu
Bleu comme le fromage.
Bleu comme les Touaregs.
Bleu comme les myosotis.
Bleu comme un champ de lavande.
Bleu comme un cordon-bleu.
Bleu comme le divan.
Bleu comme les mains des ouvrières cousant la toile denim.
Bleu comme ce froid dont jamais aucun humain ne devrait être victime.
Bleu comme le bleuet, chassé par les désherbants sélectifs.
Mais oublions ces inepties de sang bleu.
Mettons de côté les bleus à l'âme et de la chair. Que plus aucune femme ne tombe dans les filets suaves d'un Barbe-Bleue.
La feuille blanche est vierge de toute inscription. Marie prend le stylo laissé sur le banc. Ecrit ces mots :
Je ne suis ni blanche, ni noire.
Je suis une petite fille, parmi les petites filles.
Je suis l'amie d'Emmanuelle, hémiplégique.
Je suis l'amie de Léa, autiste.
Je suis l'amie de Rebecca, violée.
Je suis l'amie de Fatia, en burka.
Je suis l'amie de Samira, excisée.
Je suis l'amie d'Indira, brûlée à l'acide.
Je suis l'amie de Sonia, prostituée sur un trottoir d'Europe de l'Ouest.
Je suis l'amie de Natalia, derrière les barreaux d'un centre de rétention.
Je suis l'amie d'Alliya l'égyptienne.
Je suis l'amie de Siham, lapidée.
Je suis l'amie de toutes ces petites filles, vendues, mariées de force, obligées de travailler…
Nous, petites filles, iront de par le monde, dire que nous voulons grandir dans une société de justice et d'égalité, sans tortures ni esclavages, où les femmes seront respectées, dignes et reconnues.
Marie prend les trois cailloux. Sur la place, une marelle. Elle y lance ses cailloux.
Saute à cloche-pied, à pieds joints. Recommence.
Une petite fille, ni blanche, ni noire, joue sur une place…