Thème: Au delà des poussières d'étoile, loin ou près dans Un espace, la rencontre de l'autre: vous êtes un voyageur: la peur, la joie, la découverte, le mystère: vous exploitez l'une ou l'autre facette de ces moments particuliers et inoubliables.
Je sais qu'on parle d'empathie, mais comment cela marche-t-il au juste? Que ressent-on?
Ito Naga, Je sais N°170
Futura était à la fois ravie et stupéfaite. Ravie car son programme d'architecture égoïste marchait du feu de Dieu. Stupéfaite car son centième ermitage devait être installé sur Terre, un long voyage dans l'Espace depuis Individo qui se terminait aujourd'hui. Ravie car alors qu'elle posait le pied sur Terre, elle voyait qu'elle allait enfin être débarrassée de la poussière du désert individain. Stupéfaite, car bien qu'elle ait choisi précisément le lieu de son atterrissage, elle se demandait comment elle allait gérer ses constructions sur ce sol du pôle Nord recouvert d'une poudre blanche particulièrement insaisissable. Mais stupéfaire surtout car il lui semblait que cet endroit n'était pas aussi inhabité qu'il aurait dû l'être: la navette spacio-temporelle de Futura était posée à Jukkasjarvi, un village abandonné en théorie de toute population depuis des décennies.
Au loin, non, pas si loin selon les standards individains, un être était sorti d'une habitation conique et faisait de grands signes joyeux en direction de la navette. Pour Futura c'était le pompon:
- "Non mais je rêve! Deux mois galactiques pour prospecter des endroits déserts et tomber sur un malade du contact! Un terrien en plus. Les pires. Sans doute un de ces empathiques survivants. Que fait-il là? Où est son suburb? Sidéral! J'y crois pas. La prochaine fois j'enverrai mon hologramme".
L'homme approchait à grands pas, un sourire aux lèvres:
-"Eh, salut, moi c'est Hugo! Comment vous faites ça, cette navette, j'ai cru que c'était un de mes pétrels fulmar, elle est vraiment chouette et inhabituelle."
Pour chaque pas d'Hugo vers l'avant, Futura faisait un pas en arrière:
-"Stop, Ne bougez pas, arrêtez! Je suis sidérée que vous osiez vous approcher de moi"
- "Sidérée? Elle est bien bonne celle-là, pour quelqu'un qui vient à priori de l'espace sidéral. Etre sidéré est vraiment fort à propos. Quant à moi je suis ravi."
La vie d'Hugo avait pris un tournant auquel il ne s'attendait pas il y avait déjà plus de deux cents ans: les humains avaient dû choisir entre un environnement dégradé à protéger et une consommation effrénée. Ces deux éléments étant apparemment incompatibles, ils s'étaient entassés dans les villes, d'autres étaient montés dans des fusées spatiales pour découvrir si ailleurs, l'herbe restait plus verte, la neige plus blanche, le ciel plus bleu. Hugo avait donc 230 ans: suite à une maladie rare appelée elfisme, il ne vieillissait plus, paraissait toujours les trente ans qu'il avait quand il s'était installé à Kiruna pour protéger les Petrels Fulmar. Il avait beau les aimer, les comprendre, communiquer avec eux, sa nature avait soif, parfois, de contacts plus humains.
Hugo, tout en avançant, était perdu dans ses pensées, ébloui par cette apparition plutôt féminine sous un scaphandre pailleté et coloré. Il sursauta à la voix de Futura qui reprenait de plus belle:
-"Barrez vous! Ne respirez pas vers moi! Votre air est pollué, vicié, votre souffle est saturé de crobes tueurs. Mais, sidéral, qui êtes vous donc? Un empathique? Un altruiste? Un psycholover?"
Hugo s'arrêta, dressa les oreilles, ouvrit grand les yeux, bloqua sa respiration, ébahi, puis soudain éclata de rire: plié en deux, tordu, prêt à se rouler par terre, un de ces rires qui en ferait rire cent, énergique, libérateur. Il comprenait: il avait devant lui une habitante de la galaxie Unicia, dont les habitants pensaient devoir leur survie au confinement et au rejet du contact. C'était bien sa veine.
Ce rire n'était pas du tout du goût de Futura; Furax, absolument hors d'atteinte de ce rire communicatif, Futura planta Hugo, fit demi tour et retourna à grands pas vers sa navette:
-"Pauvre altruiste, va!"