La pesanteur et la grâce - Simone Weil
Mon amour,
vois-tu, je t'aime,
Mais tu dois me laisser respirer
Me donner mon espace
Et mon temps.
Veux-tu
que nous jouions à un jeu ?
Je te propose de t'éloigner, juste un peu.
Encore un peu... oui, comme ça,
quelques mètres...
Maintenant, attendons.
Laissons faire
le temps.
Voilà, ça marche déjà !
J'ai à nouveau envie de toi !
Il fallait juste que tu me laisses
seule dans ma bulle
quelques instants
Loin de ta chaleur, de ton odeur
Il me fallait l'espace et le temps
de t'imaginer,
de te désirer.
J'avais besoin de rêver
De "te" rêver...
Après tout, ne sommes-nous pas
des êtres de rêve,
Des êtres virtuels ?
Je voudrais que l'on se regarde
Comme on regarde un paysage
Un paysage sauvage et vierge
que personne
n'aurait encore défloré
Peux-tu essayer
de "laver" ton regard
Pour me voir telle que je suis
vraiment...
Telle que je suis, sans toi
loin de toi,
Hors de ta conscience
de tes souvenirs
de tes désirs...
Comme si "tu" n'étais pas là,
Comme si tu "n'existais" pas,
Me regarder avec les yeux de l'absence,
Du Néant...
Je sais, c'est difficile.
Mais c'est ainsi que je suis "moi"
Tout comme ce magnifique paysage
Que personne n'a encore vu
Et qui pourtant existe,
quelque part,
Dans sa pureté originelle
Tel que Dieu l'a rêvé
De toute éternité.