Si j'étais une cloche, je serais carillon, je carillonnerais à la
volée. Mes notes claires s'envoleraient comme semence du haut des
beffrois, des donjons, des campaniles. Au travers des clochers à
claires-voies, je sèmerai la joie.
Si j'étais une cloche, je serais bourdon, une tonne de cuivre, une
tonne d'étain pour ma robe d'airain. Le lourd balancier heurterait le
tracé de mes formes arrondies à coups réguliers, à coups comptés.
Vibrations sourdes, puissantes, pénétrantes jusque au fond des coeurs
pour marquer la mélancolie du temps qui passe, avant-goût de
l'absence, cruel départ.
Si j'étais une cloche, je serais tocsin. J'alerterais les citoyens,
je sonnerais le rythme accéléré de la menace qui pèse, du danger qui
approche, du péril qui pousse, avant que la pétoche ne les emporte.
Mais je ne suis qu'une cloche, fêlée à force d'avoir été choquée de
taloches sur ma caboche à la moindre anicroche, au moindre reproche.
Je ne suis qu'un cloporte qu'on laisse à la porte avec le club des
éclopés, le clan des exclus.
Je ne suis qu'un clampin qui va bientôt clamser, sans qu'une seule
cloche, pas le moindre grelot ne tinte pour faire écho à la clarine
qui sonne là haut dans la montagne parmi les campanules.
Si je n'étais pas ce fantoche à la cloche de bois, claquemuré depuis
que je suis mioche dans ce cloaque, cloîtré dans le silence,
clandestin dans ce désert, j'aurais pu être clown avec mon chapeau
claque, mon cache-misère, clopin-clopant dans mes galoches. Le destin
en a décidé autrement, il m'a voulu clochard.
Ce matin je ne me suis pas réveillé, des coups de pioche martèlent le
sol gelé, on creuse une fosse de l'autre côté du mur, un son de
cloche se rapproche.