Il n'a pas compris l'enjeu. Tout au long de sa courte existence, il a gardé les yeux clos, aveuglé par cette promesse qu'il avait faite à sa mère sur son lit de mort. Durant ces dernières années, il a bani honte et remord de sa vie, avançant pitoyablement dans ce qu'il pensait être son devoir et qu'il brandissait haut et fort comme excuse à ses actes.
Il avait douze ans lorsqu'elle partit vers d'autres cieux, les laissant sa soeur, son père et lui à la merci d'un monde qu'il ne connaissait pas encore, mais qu'il n'allait pas tarder à découvrir. Son père, ravagé par le chagrin, ne sut faire face à ce deuil. Il sombra peu à peu dans l'alcool, inconscient du mal qu'il faisit à ses enfants, les abandonnant à la vie et à ses pièges.
Seuls. Ils étaient seuls maintenant... C'est qu'il pensa lorsque, à l'enterrement de papa quelques années plus tard, il serra très fort sa soeur contre lui.
Marie avait maintenant 14 ans et lui 16. Il quitta l'école pour pouvoir travailler. Il ne tarda pas à trouver du boulot dans des bars, des tavernes, des restaurants, des hôtels. Le monde de la nuit...
Il travaillait jour et nuit pour que sa soeur ne manque de rien. Marie s'inquiétait de voir son frère s'épuiser physiquement et moralement. Elle aurait voulu l'avoir auprès d'elle plus souvent, il était tout ce qui lui restait et elle savait qu'il faisait tout cela pour elle. Ils se voyaient peu pour cause d'horaires incompatibles mais ils se laissaient des petits mots qu'ils lisaient chacun de leur côté lorsqu'ils se réveillaient. Elle s'appliquait au lycée, elle voulait qu'il soit fier d'elle, et il l'était. Mais il sentait souvent cette rage monter en lui de ne pouvoir lui offrir davantage. Bien sûr, elle avait un toit, un frigo où rien ne manquait et elle faisait des études, mais il aurait tellement aimé lui offrir une belle robe ou un beau bijou. Elle était si belle, elle ressemblait tant à leur mère.
Lorsqu'elle obtint son bac, il lui promit de l'emmener en vacances. Jamais encore elle n'était partie en vacances, ni lui non plus d'ailleurs. Elle tenta de le raisonner, la vie était si chère et il travaillait déjà si dur. Mais rien n'y fit. Elle le méritait et il trouverait de l'argent.
Il pensa alors à son copain Mat. Mat s'appelait en réalité Mathieu, mais il avait abrégé son nom car il trouvait que ça faisait plus respectable, ça en imposait quoi !! Car Mat trafiquotait et, malgré ses 18 ans, était déjà respecté dans le milieu, de la nuit.
Depuis leur rencontre, une amitié était née entre eux malgré leur différence et Mat n'eut de cesse de convaincre son copain de dealer avec lui. Juan refusait à chaque fois mais là, soudain, il se dit que, une seule fois, cela ne porterait pas à conséquence. Il suffirait de se convaincre que ceux à qui il vendait la came savaient ce qu'ils faisaient et que, finalement, chacun était responsable de sa vie. Et puis ainsi, il pourrait lui offrir des vacances à Marie.
Il retrouva donc Mat un soir au bar près du port et accepta le petit sachet en plastique rempli d'autres petits sachets en alu parfaitement pliés en quatre. Il n'avait qu'à les fourger, ça partait si facilement...
Et effectivement, au bout de quelques jours seulement, il put acheter les deux billets, direction le paradis. Enfin des vacances après tant d'années de privation. Ce furent deux semaines magnifiques, où ils chassèrent la misère et le passé de leurs vies pour profiter au maximum de ces moments idylliques.
Au retour, Marie entra à la fac et il reprit ses petits boulots de serveur. Mais l'argent manquait. La fac coûtait cher et la vie tout autant. Il revit donc Mat et repris son petit trafic. Marie lui demandait souvent d'où venait tout cet argent et lui, sereinement, lui disait qu'il était monté en grade à l'hôtel, que son patron l'estimait et qu'il avait beaucoup de chance. Et elle, elle respectait trop son frère pour douter de lui. Et les semaines passèrent, les mois aussi. Il n'eut bientôt plus le temps de travailler, tellement les petits sachets étaient devenues rentables et l'accaparaient à plein temps.
Puis, un soir... Un magnifique soir de printemps, un de ces soirs où l'on regarde le ciel et l'on parle aux étoiles, un de ces soirs où les anges semblent nous sourire, un soir... l'homme à qui il était entrain de fourger 10 petits sachets (il a du pognon celui-là, pensa-t-il sur le moment), cet homme sorti son insigne et son flingue, et le plaqua au sol, mains sur la tête et jambes écartées.
Deux voitures de polices arrivèrent à toute vitesse, comme sorties de nouvelle part, girophares hurlant dans la nuit.
Là, le visage contre le froid marbré du trottoir, il ne distingua plus les anges, il ne vit plus les étoiles. Là soudain, il avait juste devant les yeux le visage de sa soeur, ses larmes lorsqu'elle saurait, sa détresse, sa tristesse. "Pardonne-moi Marie", pensa-t-il dans un souffle.