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Une dame du quartier :

 

Je m’appelle Madame Guertin. J’habite dans cette maison depuis quarante-deux ans.

Et, pas de soucis. Le quartier est calme : pas de gosses qui traînent, pas de maisons de cambriolées. Enfin, c’était avant que la mairie ne décide d’installer le terrain près d’ici. Le terrain pour les  gens du voyage.

 

Depuis, c’est le bazar ! Y a des choses bizarres qui se passent. On n’a pas la preuve que ce sont eux, les bohémiens, mais c’est sûr que c’est eux. Qui voulez-vous que ce soit ?

 

Avant, leur campement était à l’autre bout de la ville, mais comme ils ont construit un rond-point, et un centre commercial, ils ont préparé un endroit pour eux ici.

Le terrain n’est pas toujours occupé, mais quand même, la moitié de l’année, c’est bien suffisant.

 

Ah, ils sont malins ! Ça paye pas l’eau, pas l’électricité, et donc pas d’impôts. Des parasites ! Qui c’est qui payent pour eux ? Ben c’est nous, les pauvres pommes.

Tiens, on aurait dû faire ça avec mon Gaston : partir à l’aventure, s’arrêter là où on voulait et rien payer ! Que la nourriture, et encore ! ça leur coûte pas cher de bouffer du hérisson et du chat ! Beurk ! Rien que d’y penser, ça me donne des aigreurs ! Ah, ils ont l’estomac solide, eux !

 

Et vas-y que je te gratte la guitare toute la soirée. Moi qui déteste le flamenco. Dès qu’il y a les Gipsy King à la télé, je change de chaîne. Ah, ils ont plus d’argent que moi, c’est sûr. Avec toutes leur brandeloques en or.

 

Et les gamins qui vont tous seuls à l’école. Ah, c’est pas un de ceux-là qui se ferait kidnapper ! Toujours un de nôtres, un petit aimé de ses parents.

Parce que, faut pas me faire croire qu’ils les aiment leurs mômes. Elles font que ça leur femme, pondre comme les poules. Sitôt qu’il y en a un qui marche, paf, ils recommencent ! Ah ! Ils ont la santé ! Moi, j’ai eu qu’une fille, et j’ai mis trois ans pour m’en remettre. Sûre que j’allais pas recommencer après ça !

Et puis, ils se débrouillent tous seuls. Ils s’en vont à l’école à pieds. Et leur tignasse, faut pas chercher d’où viennent les poux. Faut voir les nids d’oiseaux qu’elles ont les filles ! Et à six ans, elles ont déjà de la teinture sur les cheveux. Ça fait plus sale qu’autre chose, et c’est d’un vulgaire !

 

Je ferais bien signer une pétition pour les faire interdire de séjour. Mais vous comprenez, je suis une vieille femme sans défense. Plus mon Gaston pour me défendre. J’ai pas envie de mourir égorgée par un de ses sauvages et leur couteau énorme. Y a des voisines qui pensent comme moi, je suis pas la seule. Y en a d’autres qui disent que je me fais des idées, que ces gens-là sont inoffensifs. Ils sont trop gentils et aveugles. Non, non, ils ne m’enlèveront pas de la tête qu’ils sont nuisibles à notre quartier.

 

Emmanuel Robin :

 

Je suis gitan ou romanichelle. Manouche quoi !

J’ai toujours vécu sur les routes avec mes parents. Et j’adore ça. Pas de contraintes, la liberté. Mais c’est cher payé. Les gens ont du mal à nous accepter. Dès qu’il se passe quelque chose, c’est nous qu’on montre du doigt. Nous sommes des cibles toutes trouvées.

 

Nos enfants aussi ont la vie dure. Ils vont à l’école parce que c’est important d’avoir un minimum d’éducation. Mais si il y a de poux à l’école, on dit que c’est eux, alors que les poux ne nous ont pas attendu pour apparaître.

Si un jour nos enfants veulent se fixer quelque part, pour la vie, ils auront ainsi les moyens de s’en sortir, des diplômes.

Avec Ana, ma femme, on a décidé d’avoir que trois enfants. C’est déjà pas si mal.

C’est qu’il faut les élever, et de nos jours, c’est pas facile. On a choisit d’en avoir moins mais de s’en occuper comme il faut. Ils ont des tenues convenables, et des chaussures. Ce ne sont pas des « va-nus-pieds ».

 

Moi, je fais des petits boulots par-ci, par-là. Parce qu’il faut bien qu’on mange. C’est des histoire ça les hérissons et les chats. Je n’en ai jamais mangés. C’est des rumeurs qui courent sur nous. Sans doute pour mettre de l’eau au moulin de ces vieilles vipères.

 

C’est une richesse de parcourir la France. On découvre des paysages différents, des personnes - même si ce ne sont pas la majorité - sympathiques, toujours prêtes à nous tendre la main. Quand on doit supporter le froid ou les tempêtes, certaines nous logent momentanément, et nous leur en sommes très reconnaissants.

 

Je ne joue d’aucun instrument, je ne suis pas doué. Et j’ai pas vraiment le temps. Je préfère écouter les tubes qui passent à la radio.

 

Nous sommes comme tout le monde : nous mangeons la même chose, écoutons la même musique, sauf que nous vivons dans une caravane.

 

Comme les mairies nous permettent d’avoir de l’eau et de l’électricité, je rends quelques services, nettoyer les fossés de la commune, réparer des bricoles. Je ne voudrais après pas qu’on dise qu’on est des profiteurs.

 

Pour l’instant cette vie là nous convient, mais peut-être que lorsque nous serons vieux, nous nous retireront dans une maison bien à nous. Il y a déjà des coins qui nous plaisent. Mais nous ne vivrons pas ici, les gens sont bien trop mesquins.

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