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Une allée aux couleurs et aux senteurs automnales se dressait fièrement devant moi.

 

Une allée que j’étais seul à connaître. Interminable et vertigineuse, presque étourdissante. Ses couleurs safranées lui donnaient un air sauvage et indomptable. Au bout de ce sentier émaillé d’arbres plus majestueux les uns que les autres, une porte.

 

La Porte...

 

L’objet de mes angoisses d’enfant. L’objet de mes doutes, aussi. L’objet de ma mise à l’écart.

 

Elle était toujours là. Au bout du chemin, dressée effrontément devant moi, toujours aussi usée, rongée et peu avenante. Pareille à mes souvenirs. Au fur et à mesure que je m’approchais, je sentais mon souffle devenir plus saccadé. Le passé me rattrapait.

 

Des éclairs d’images ressurgissaient d’un coup, frappant violemment ma mémoire embuée. Des grondements sourds commençaient à marteler mon esprit. Il fallait pourtant que je m’approche, que j’oublie mes peurs d’enfant, que je me rende compte vingt ans après, si j’avais été victime d’une hallucination, ou si j’avais dit vrai. Vingt ans d’enfermement en asile psychiatrique d’où je venais de m’échapper. Vingt ans passés à tenter de trouver une explication logique à ce que j’avais vécu enfant,  vingt ans de ma vie perdus dans les méandres du passé à cogner sur une porte désespérément fermée.

 

Je n’étais plus qu’à quelques mètres. Elle m’était toujours aussi hostile. Il fallait que j’aille au-delà et que je la franchisse aujourd’hui. C’était ma seule délivrance. Franchir l’objet qui avait détruit ma vie... je n’avais que cette idée en tête.

 

J’y étais enfin. J’approchais tout doucement une oreille de la porte, et reculais soudain devant ce grondement intolérable presque inhumain, qui faillit me faire tomber. Je ne l’avais donc pas inventé. Ces mêmes bruits sourds mêlés à des plaintes d’outre-tombe que j’avais entendus si souvent derrière cette porte rejaillissaient maintenant, comme s’ils n’avaient jamais cessé.

 

Je me ressaisissais. J’avais amené avec moi quelques outils pour pouvoir enfin l’ouvrir et découvrir ce qui se cachait derrière. En vingt ans, j’avais tout imaginé... Tout...

Sauf...

 

Sauf ce terrible cauchemar qui surgit du néant lorsque je parvins enfin à ouvrir cette porte...

 

En vingt ans, j’avais tout imaginé... Tout... Sauf...

 

Sauf ce terrible cauchemar qui surgit du néant lorsque je parvins enfin à ouvrir cette porte...

 

Un être difforme, au cerveau totalement boursoufflé, le côté droit plus proéminent que le côté gauche, et les orbites plus grosses qu’une balle de tennis.. Cette... chose, devrai-je dire ce colosse inhumain, avait les mains liées par deux énormes chaînes d’acier attachées de par et d’autre de chaque pan du mur. Il sembla bien moins surpris que moi lorsque, fébrilement, je pris la parole :

 

-         Mais qui êtes vous ? Que faites-vous ici ? Que vous est-il arrivé ? bredouillais-je maladroitement.

 

-         Il t’en a fallu du temps pour que tu franchisses cette porte, Charles, je commençais à m’impatienter, gronda le monstre d’une voix rauque et enrouée.

 

-         Vous me connaissez ?

 

-         Approche-toi, et soulève mon tee-shirt. Au niveau de l’épaule, tu verras la marque de...

 

Aussitôt dit, je ne sais pourquoi, je n’hésitai pas une minute et m’exécutai. Et là, le choc, la tâche de naissance, identique à la mienne, en forme de cœur...

 

-         Tu as bien compris, mon frère...

 

-         « Mon frère ?», répétai-je en hésitant.

 

-         Je suis né dix ans avant toi. A ma naissance, médecins et scientifiques se sont penchés sur mon berceau et ont tergiversé pendant plusieurs mois sur l’origine de ces malformations.. en vain. Impossible d’opérer, rien à faire. Ils ont dit à papa et maman qu’en grandissant mes difformités augmenteraient et feraient de moi un monstre... Au départ, papa et maman se sont bien occupés de moi, ils m’ont choyé comme ils auraient choyé n’importe quel autre enfant, mais en grandissant, je devenais la chose effroyable que tu voies, et c’était devenu un calvaire pour eux. Les journalistes les assaillaient, les gens du cirque rêvaient de me mettre en cage pour se faire de l’argent sur mon dos, bref, à ta naissance, je les ai supplié de me mettre à l’abri ici tout en venant régulièrement me donner à manger, et me faire la conversation...

 

-         Et les chaînes, alors ?

 

-         Ces grondements que tu entendais quand maman et toi veniez me nourrir, c’est... à cause de mes crises... Comme les malformations ne suffisaient pas à mon malheur, il a fallu qu’en plus j’aie des crises d’angoisse tellement fortes que je pourrais à n’importe quel instant faire du mal si je n’étais pas attaché...

 

Une goutte, puis une deuxième vint adoucir le visage de ce monstre. A mon tour, je comprenais maintenant tous ces grondements sourds, ces plaintes rauques que j’entendais au travers de la porte, et je sentais monter en moi une haine incommensurable envers mes parents, qui avaient préféré m’enfermer à mon tour dans un asile plutôt que de me dire la vérité....

 

Je me jetai en sanglots dans les bras enchaînés de mon frère...

 

-         Tu ne seras plus seul, mon frère, à partir de maintenant, c’est moi qui vais m’occuper de toi, nous avons tant de choses à nous raconter sur nos prisons respectives...

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