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Elle

 

Les jours qui se suivent sont sans surprises, aussi incolores que les murs de cette maison dont je suis volontairement prisonnière. Voici cinq longues années, que leurs pans dénudés aux fenêtres et volets fermés, me protègent d’un monde qui n’est pas fait pour moi. Les gens me font peur, les couleurs m’agressent, les bruits me tourmentent, les odeurs m’insupportent.Le tourbillon de vie qui anime la rue, abritant la joie des uns, le tracas des autres, la haine, l’amour, la douceur, la violence, l’ennui, me donne le vertige. Dehors, je me sens comme au bord d’un gouffre à la gueule béante que chacun nourrit inconsciemment d’incertitude et de solitude mais aussi de mépris et d’indifférence…

 

Je me suis isolée de ce monde acerbe et égoïste. Cette coupure était indispensable à mon esprit torturé. Ma raison aurait été incapable de suivre la course effrénée d’une vie excessive et sans saveur où aucun espoir n’est permis. Il m’a fallu pourtant beaucoup de courage…ou de lâcheté, pour accepter ce sacrifice et laisser les murs de cette maison se refermer sur moi.

 

Au fil des saisons ils affirment leur emprise. Je sens leurs parois se resserrer comme un étau, réduisant mon univers à une pièce unique et froide, m’y emmurant vivante.

 

Vivante…le suis-je vraiment ? Mon esprit inerte marche au ralenti. Mon cœur continue de battre, mais vidé de tout sentiment. Il ne me reste que le goût amer d’une solitude grandissante qui prend tant d’ampleur qu’elle m’étouffe peu à peu. Les efforts que je fais pour la combattre sont vains et m’épuisent. Elle me force à réaliser, un peu plus chaque jour, que plus rien ni personne ne me retient ici.

 

Je suis si lasse… Et pourtant cette nuit…oui c’est bien cette nuit ! J’ai rêvé que quelqu’un m’aimait…Et ce rêve, brève lueur d’espoir d’une nuit agitée, se met soudain à briller comme un soleil dans l’obscurité des méandres de mon esprit. Il me lance un ultime appel et m’invite à ouvrir les portes d’un coeur et d’une maison qui ne supportent plus d’être clos.

 

Lui

 

Chaque matin je prends le même chemin pour aller travailler. J’ai une sacrée chance : c’est à quinze minutes de chez moi… Evidemment j’y vais à pied, quelque soit le temps que le ciel nous réserve. Pas question de sortir la voiture ! C’est que je suis un fervent protecteur de la nature ! Et ce ne sont pas quelques gouttes de pluie ou quelques flocons de neige qui vont me faire peur. J’aime ce petit trajet à pied. Il remet mes batteries à bloc. Que ce soit le soleil chaleureux d’un jour d’été ou le froid cinglant et tonifiant d’un jour d’hiver, il n’y a rien de tel pour me réveiller. J’en profite toujours pour saluer les habitués du quartier. Le boulanger du coin qui me fournit chaque matin en croissants chauds et moelleux est le premier de la liste. Puis j’avance tout en mangeant mon croissant.La concierge de l’immeuble voisin m’attend avec un café à la main et quelques nouvelles croustillantes à partager. Ensuite, je croise les gosses de la cité qui me lancent du «B’jour m’sieur », un sourire aux lèvres. Monsieur Martin, le marchand de chaussures a par contre bien du mal à sourire et j’ai le droit à son bonjour crispé une fois sur deux, selon son bon vouloir. Heureusement, il y a le regard doux et bienveillant de la vielle mademoiselle Berthe qui me fait signe de sa fenêtre. Ses jambes douloureuses ne lui permettent plus de descendre les deux étages qui la séparent du rez de chaussée. Une fois par semaine, je lui apporte ses courses et un bouquet de violettes. Elle me remercie par un bout de tarte et m’attend, matin et soir, pour ce signe amical de la main…

 

Et puis il y a cette maison aux volets fermés dont la porte reste désespérément close.

Je ne saurais dire ce qui m’intrigue en elle. C’est une maison en tout point semblable aux autres, sans particularités apparentes et pourtant si différente. Elle m’attire. A son approche mon pas se fait plus vif, mon impatience plus grande. Dès que j’ai franchi ses limites, mes pieds se traînent, le malaise me gagne…Depuis quelques jours je le sens pesant, presque menaçant.

Il en émane une mélancolie si profonde. J’ai parfois l’impression que quelqu’un lance un cri à travers la grande porte de bois vernie que je serai le seul à entendre. Il exprime une douleur insupportable, un appel à la vie lancé dans l’infini.

 

Hier je me suis approché et j’ai clairement entendu des gémissements et des sanglots.

Mais je n’ai pas osé frapper. Aujourd’hui peut être…

 

Elle

 

Dans mon rêve, quelqu’un m’aimait et remplaçait de ses bras protecteurs ces murs vides et froids… Il suffirait d’ouvrir cette porte. Appuyer sur la poignée : le geste le plus simple qui soit…le plus difficile aussi…

 

Je me suis assise par terre face à mon ennemie de bois, gardant mes distances pour la jauger. Impassible, elle me nargue de sa hauteur. Je reste immobile, les yeux rivés sur elle, clouée sur place par le poids de mes angoisses cumulées. Mon regard alterne entre elle et la table où j’ai disposé hier soir les médicaments que j’ai conservés précieusement pour une dernière fuite.

 

Je sursaute. Je n’ose y croire. Trois coups rapides et fermes viennent de retentir à la porte. Est-ce un signal ? Trois autres se font de nouveau entendre. Je me lève lentement, le corps tremblant. Mes jambes sont de plomb et me mènent péniblement vers ma libération ou le début du chaos. Peut importe…J’appuie sur la poignée. La porte s’ouvre et la clarté s’engouffre dans la pièce et mon esprit pour faire place à un jour nouveau.

 

Lui

 

Aujourd’hui est un autre jour. Je ne résiste plus à l’invitation muette de la maison.Je prends mon courage à deux mains et frappe vivement à la porte…Une première fois.

Aucune réaction n’est perceptible : pas un mouvement, pas une réponse. J’insiste.

Une deuxième fois…Mon attente est cette fois récompensée, j’entends le cliquetis de la poignée puis la porte s’ouvre.

 

Par l’entrebâillement, une jeune femme d’une trentaine d’année environ me fixe étrangement. Elle est hagarde et visiblement effrayée, mais ne semble pas étonnée de me voir. Elle m’invite à entrer…

 

…La porte s’est ouverte sur la solitude, la laissant s’échapper dans le flot des sentiments égarés, voguant le long des trottoirs de nos rues animées…

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