Georges habite au fond d'une ruelle tranquille dans le 14° arrondissement de Paris. Une grille en fer forgé en clôt l'entrée. Une fois à l'intérieur, on a encore quelques mètres à faire pour arriver sous la tonnelle, toujours à l'ombre, même en été. Il se réjouit de ne pas donner sur le Bd du temps qui passe, trop bruyant à son goût. Pour composer, il lui faut le calme total.
Georges reçoit très peu de monde, c'est un solitaire, disent ses vrais amis, un ours, disent les autres. Ses amis sont les poètes, Léautaud passe de temps en temps, Perret vient y chercher des conseils, ils échangent quelques idées sur le monde et sa politique. Mais Georges n'est pas homme à mourir pour des idées, car il sait qu'on peut en changer du jour au lendemain. Lorsque son visiteur se fait trop pressant et abuse de son précieux temps, Georges, titillant un peu sa moustache, le renvoie gentiment : Sauf le respect que je vous dois, cher ami, il serait peut-être temps de retourner chez vous, rue de Montélimar...Georges a oublié que son ami n'habite plus là, mais a déménagé récemment Porte des Lilas.
Georges sort très peu de chez lui, il ne quitte guère son petit nid que pour aller chercher son pain ou aller serrer des mains à des enterrements. Et encore. C'est sûr que s'il avait vécu quelques décennies plus tôt, c'est à l'enterrement de Verlaine qu'il aurait aimé assister. Verlaine, son poète préféré, avec Rimbaud et Aragon ! Georges n'a pas de compagne, ou alors occasionnelle, en revanche, il s'est adjoint les services d'une brave femme, Fernande, qui s'occupe de son quotidien et gère le foyer à sa place. C'est que Georges est poète et musicien, les tâches quotidiennes l'assomment et il n'est guère ancré dans la vie réelle. Le travail de composition et d'écriture lui prennent tout son temps, de plus, il faut qu'il se plie aux exigences d'un calendrier de plus en plus rempli. Georges a à présent acquis une telle notoriété qu'il sillonne la France, accompagné de son célèbre contrebassiste, une bonne partie de l'année. Fernande veille au grain et s'active à lui simplifier la vie du mieux qu'elle peut.
Parfois, en été, Georges va prendre l'air dans son petit "patio", où trône un superbe chêne presque centenaire. Georges lui parle comme à un être animé et familier. Il a écrit quelque part que son arbre l'écoute et même lui répond. Sacré Georges ! C'est là qu'il a écrit sa célèbre chanson : auprès de mon arbre. Quelquefois, mais très rarement, il se rend au petit square qui se trouve à deux pas de chez lui. Il aime y rencontrer les promeneurs, les solitaires et leurs chiens, les mamans poussant les landaus, les amoureux des bancs publics, à qui il trouve, dit-il, des petites gueules bien sympathiques.
Ce soir, il se concentre tout spécialement sur sa guitare, il cherche les derniers accords d'un texte qu'il vient d'écrire et qui s'appellera, pense-t-il, mais il n'en est pas encore bien sûr, car il trouve le titre un peu long : La balade des gens qui sont nés quelque part. Puis Georges regagne sa chambre et ne tarde pas à s'endormir. La muse veille sur lui et tout porte à croire que demain, elle lui soufflera encore de jolis textes et de belle musiques. Car Georges a des idées plein la tête et n'a pas fini de nous étonner !