Je me demande souvent si je suis le seul chat à noter toutes leurs incohérences !
Bien entendu, je ne suis qu’une bête, fidèle quoiqu’on en dise, et n’ai pas voix au chapitre.
J’évolue avec légèreté dans un univers équivoque dénué de certitudes que je ne comprends pas.
Mais cela ne me dérange pas outre mesure : j’y suis né, ainsi que mes frères et sœurs.
Ma mère la Sublime loin d’être nullipare, fut peu après notre naissance amputée de ses ovaires afin de cesser ces périples saisonniers qui la rendaient esclave des mâles environnants aux allures parfois équivoques.
Elle en connut un rouquin borgne et nanti d’une mauvaise balafre, à ce qu’il parait, belliqueux au possible et étonnamment laid, qui lui fit une portée désastreuse, juste avant moi.
Tous les chatons périrent à la naissance ou dans les mois qui suivirent, comme victimes d’une malédiction !
Aussi, nos maîtres décidèrent-ils que nous serions « la der des der » (des portées bien sûr), lorsqu’ils s’aperçurent que Sublime était de nouveau prise.
Je n’ai pour ma part point à m’en plaindre : nous fûmes de ce fait chouchoutés, adulés et notre enfance fut un marathon de plaisirs dans ce logis campagnard offrant un terrain de jeux merveilleux !
La tendresse nous enveloppait dès le réveil : coups de langue ravageurs de notre mère, caresses des petits maitres en extase et si inventifs au sortir de l’école, déménagements brusques du tiroir à légos sous le lit de l’aîné au couvercle chaud du lave- vaisselle tout juste ouvert, de l’armoire monumentale entrouverte au carton oublié dans un recoin obscur, bref nous n’avions jamais aucunes certitudes quant aux havres de paix quotidiens qui semblaient relever d’une certaine incohérence de la part de notre mère versatile, mais la masure était un vaste champ d’exploration pour nos jeunes vies innocentes et avides de découvertes.
Peu à peu je compris que Sublime avait des accointances avec ces bipèdes étranges, mais qu’au solstice prochain nous quitterions ces lieux pour ne plus jamais les revoir ni nous retrouver dans ces parties fraternelles endiablées !
En effet de nombreuses visites d’êtres humains étrangers venaient depuis peu perturber nos jeux : nous nous faisions tripoter, comparer, regarder, caresser tant et plus !
Aussi chaque instant vécu en ces lieux fut précieux, et ma vie en fut éclaboussée de bonheur.
J’espère qu’il en fut de même pour le reste de l’ultime portée dont je suis issu.
Je garde dans ma mémoire corporelle un bonheur qui m’accompagne à chacune de mes siestes et pérégrinations dans ce vaste monde peuplé d’humains maniaques et incertains…