Dehors, l'orage grondait et je n'imaginais pas encore que la porte s'ouvrirait s'y violemment. Je crus que c'était la tempête, aussi fus-je bien étonné lorsqu'une frêle silhouette fut propulsée à l'intérieur de la pièce, où elle s'étala de tout son long. Elle paraissait complètement épuisée, Le visage plaqué au sol comme pétrifiée. J'enjambai le corps pour aller fermer la porte et ainsi arrêter le déferlement de vent et de pluie qui commençait à inonder l'entrée de la seule grande pièce de la maison.
Habitué à vivre seul depuis bien longtemps, je fus un peu bousculé par l'irruption de cette créature, que j'aurais facilement décrite en d'autres circonstances, comme une princesse, ou une de ces nymphes qui promènent leur nonchalante apparence dans les défilés de mode, les écrans de cinéma ou de télévision.
Aujourd'hui il en était tout autrement. Elle commençait à se relever péniblement. Appuyée sur ses paumes, regardant de droite et de gauche, comme pour prendre connaissance du lieu dans lequel elle venait d'échouer. Elle ne s'était pas encore aperçut de ma présence dans la pièce, et eut l'espace d'un court instant en me voyant, un tressaillement. S'appuyant sur un coude, à demi assise, elle tenta de remettre en ordre avec sa main libre, sa longue crinière blonde. Elle finit après quelques revirements maladroits à se mettre en position assise, rajustant au passage sa robe légère afin d'en couvrir ses cuisses. Elle n'avait toujours pas ouvert la bouche pour dire un mot et reposai, assise sur le sol, les bras entourant ses jambes pliées en deux, le menton appuyé sur ses genoux, le visage livide.
Si mon hôte, avait du mal à comprendre la situation, elle en connaissait probablement la raison, même si le hasard d'arriver chez moi plus que chez un autre, n'était que fortuit. Je me trouvai dans une position complètement inhabituelle, et, à l'ordinaire hors de ma portée, tant, de par son apparence, elle était à cent lieues de mes fréquentations et de la vie casanière que je menais seul à la campagne. Tout dans sa physionomie posait question et la première : qu'avait-elle fait pour arriver là, à plusieurs heures de route de la première grande ville ?
Plus les minutes passaient, et plus je pris conscience, moi-même, de l'incongruité de la situation dans laquelle je me trouvai. Je ne cherchai pas à me dire : que dois-je faire en la circonstance ? Mais je regardai avec un peu de honte, le sol pas vraiment propre de la pièce et le désordre général qui régnait dans la maison. En la circonstance, appeler les secours ne me parut pas la meilleure solution, même si ordinairement s'eut été la plus logique, aussi j'envisageai de lui offrir quelque chose à manger. Mes premières paroles n'eurent pas d'échos, elle me regardai d'un air un peu ahuri, bredouillant quelques mots que je ne compris pas. Je dus lui montrer le contenu de la casserole, pour qu'elle accepta d'un hochement de tête. J'en déduisis qu'elle ne parlait pas français et, qu'aucune explication ne donnerai de solution au règlement de la situation. Elle se releva pour venir à table ; c'est là que je m'aperçus qu'elle avait, autre incongruité en ces lieux, des chaussures à talons aiguilles ; un des deux talons étaient cassés et la faisait boiter. Elle pris le parti de s'en débarrasser en se déchaussant et en les repoussant sur le côté, ajoutant un peu plus au désordre ambiant, mais à contrario cela me laissa penser qu'elle n'y avait pas, elle-même prêté attention, ce qui me rassura. Elle paraissait affamée, au point que je dû lui resservir une autre assiette de soupe épaisse, qu'elle engloutit avec la même appétence.
Pendant qu'elle était attablée, quelques questions m'assaillirent l'esprit, sans pour autant pouvoir les formuler clairement, et mon trouble malgré notre incompréhension mutuelle devait être visible, si bien, que j'eus l'impression qu'elle épiait maintenant, chacun de mes mouvements. Ainsi, un bruit sourd qu'on ne put identifier, la fit se relever précipitamment de sa chaise en ânonnant des mots affolés et incompréhensibles. Elle parut d'un coup, complètement paniquée. Dehors l'orage avait faibli un peu. J'allai à la fenêtre, tirai le rideau pour essayer de voir ce qui avait pu se passer. Aucunes lumières, fussent-elles minuscules n'étaient visibles dans mon champ de vision, il faisait une nuit d'encre.
Je ne pouvais pas la laisser repartir ainsi, d'ailleurs, cela ne paraissait pas être son souhait non plus, à ce que je pouvais comprendre de son regard encore angoissé. J'envisageai donc de lui laisser ma chambre, dans la pièce juste à côté. Moi je m'installerai sur la banquette dans ma grande salle. Je l'invitai donc à me suivre, ce qu'elle fit sans trop d'hésitations et même avec l'ombre de ce que je crus percevoir comme un sourire. Elle fit d'un regard circulaire le tour de la pièce, alla quand même à la fenêtre, et, voyant que les persiennes étaient fermées, parut tranquillisée. Je refermai la porte derrière moi et alla donner un tour de clef à celle de l'entrée. J'éteignis les lumières de la pièce, les persiennes n'étaient pas fermées et comme d'habitude, je décidai de n'y rien changer. Debout dans l'obscurité, je restai immobile à observer si, à l'extérieur, il n'y avait rien d'anormal. Le bruit de tout à l'heure m'inquiétai un peu tout de même, car habituellement, il n'y avait guère de passage dans le secteur. Ne voyant rien, je me couchai sur la banquette et resta longtemps éveillé à l'écoute du moindre bruit, avant de sombrer dans le sommeil.
Une voiture s'arrêta non loin de la maison, je l'avais vu arriver de loin, ses phares éclairant l'intérieur de la maison. Le moteur s'arrêta. Une portière claqua, puis deux. Une personne se dirigea vers la porte d'entrée, l'autre sembla faire le tour de la maison, puis on frappa très fort dans la porte, un moment passa…Je me réveillai en sursaut, tomba de la banquette. J'avais chaud et transpirai à grosses gouttes, la tête me tournai à moitié. Je m'assis sur une chaise proche et me frottai le visage de mes mains pour essayer de me réveiller, me sortir de ce cauchemar, car s'en était un !... Dehors il faisait toujours aussi noir et aucune lumière ne venait éclairer l'intérieur de la maison.
Il était deux heures du matin, lorsque je me rallongeai de nouveau. Il fallut longtemps avant que le sommeil ne m'emporta, et, quand le jour se fut levé, j'étais toujours assoupi. C'est à huit heures que je refis surface. La pièce était vide. Mon hôte de la nuit n'était toujours pas levée. Aucun bruit dans la pièce d'à côté ne filtrai.
Je finis de préparer le petit déjeuner. Le café était maintenant prêt à être servi ; ne pouvant attendre, je pris le parti d'aller frapper à la porte de la chambre. Aucune réponse… je recommençai sans plus de résultat. C'est ainsi qu'ouvrant la porte, je découvris le lit vide, la fenêtre ouverte avait un carreau de cassé. Je me penchai dehors, une moitié de persienne gisait sur le sol, disloquée. Elle avait dû être forcée.
Je restai tout penaud, à n'y rien comprendre, rien…
Il est des jours et des lunes, des saisons et des années où la poussière efface l'entendement.