L’air sort de mes poumons dans une étrange agonie. Bouillonnant comme une potion sulfureuse et amère. Ne filtrant ni colère ni injustice dans le chaudron de ma vie. Quelques sons tout au plus se glissant dans les airs. Aucun écho ne se fera corps de ces voix sans lendemain qui ne vivent que dans les méandres de mon être, serpentant mes tourments, défiant mon destin comme les eaux boueuses d’une étrange rivière. Parfois elles me susurrent une longue mélodie, guident mes pas vers d’autres horizons, m’aidant à trouver les réponses intérieures à mes tourments. Elles sont alors douces et reposantes, coulantes et aimantes. Elles me protègent de mes faux pas. Elles sont le gardien du funambule suspendu dans le vide que je suis.
Parfois elles se font plus sourdes, plus véhémentes, plus dures. Elles s’entrechoquent à la mélodie. Elles brouillent les pistes et déclenchent des révoltes. Ce sont les voix rebelles. Une armée de brouhaha en désaccord. Et leurs armes sont encore plus terrifiantes et dangereuses que n’importe quelle arme nucléaire. Elles écrasent mon cerveau d’idées noires et violentes et poussent mon visage à des rictus d’outre-tombe. Elles peuvent aussi se déchirer entre elles comme un vulgaire brouillon de mots qui ne verront jamais le jour. Dans ma tête, toutes ces voix se confondent en un écho. Un seul écho. Un écho qui fait mal et que personne jamais n’entend.
Alors j’écris.
Pour les dompter.
Pour les coucher
A l’infini
Et soulager
Sur le papier
Tous ces non-dits.
Et toutes ces voix se font mots. Et les maux se font traits. A défaut d’accoucher de sons. J’accouche de mots. C’est ainsi que nous essayons de vivre ensemble. Tant que je peux les écrire, ces voix ne me dérangent pas. Je peux leur donner sur le papier la force qu’elles ont dans ma tête. Tout leur sens. Toute leur dimension. Et si ces voix sont silence pour vous, elles sont bruit pour moi. Nous essayons de nous habituer l’une à l’autre, et je crois bien que ça leur plait que je les couche sur le papier. Elles sont marginales, et ce chemin un peu chaotique qu’elles empruntent pour se faire vie ne leur déplait pas.
Mais dans mon univers blanc, des bruits courent… « les autres », comme je les appelle, ceux qui ont la science infuse pour les paumés comme moi, qui m’ont incarcéré il ya quelques mois et se croient les garants de ma sécurité psychologique, veulent me mettre la camisole. Ils pensent que cela apaisera mes délires, mes crises de violence, mais ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que mon seul remède est l’écriture, ma façon à moi de modérer ces voix qui bouillonnent en moi, ma façon de les canaliser et de ne pas étendre la violence à mon entourage extérieur. Mais s’ils me prennent mes bras, mes mains, qu’ils les emprisonnent, comment je vais faire pour canaliser mes voix intérieures ? Des années d’étude pour ne pas comprendre cela… J’ai peur, oui, j’ai peur. Ils croient me connaître mieux que ce que je peux me connaître moi-même, mais ce qu’ils ne peuvent pas comprendre, c’est que j’ai conscience de mon état et que le seul remède à cet état est l’écriture. Ce n’est pourtant pas si compliqué. En plus je ne gène personne. Je suis juste dans ma bulle. Et qu’importe. J’aime cette bulle. Je suis né dedans et je n’en suis jamais sorti. Je veux y mourir dedans. Mon univers est fait de voix, amies, ou ennemies, qu’elle différence par rapport au leur ? A chacun son monde. Je respecte le leur, alors qu’ils respectent le mien. Et à voir leurs réactions, je crois bien que je suis mieux dans le mien, il n’a pas l’air plus terrible que le leur.
Mais….
Comment exister
Sans mot à esquisser
Sans voix à amadouer
Sans main…
Prenez-moi les jambes ou les pieds mais les mains et la tête, jamais !