Entrez, entrez, asseyez-vous. Vous êtes de quel journal déjà ? «Fucking rock» ? Super. Etes-vous bien installés ? Bien, laissez tomber vos questions pour l’instant, je raconte mon histoire.
Tout a commencé dans la limousine de ce groupe de hard rock américain que l’on connaît tous, légèrement passé de mode depuis, hein, les Guns n’ Roses. Peter était en compagnie d’Axl Rose, Dizzy Reed et d’Izzy Stradlin. Eux le regardaient comme l’un des leurs, plus précisément ils le prenaient pour Slash, le guitariste virtuose de la bande que l’on ne présente plus non plus. Ensemble, ils revenaient d’un concert à Montréal. Cet imbroglio est arrivé sans que Peter n’ait eu le temps de maîtriser quoi que ce soit. Le fait est qu’il est ce qu’on appelle un sosie, mais un vrai, pas le genre de ceux qui ne font que parodier Elvis Presley. Le manager le connaissait car Peter avait postulé pour remplacer un troisième guitariste, John Pearson je crois. Il avait dû nous quitter à la suite de problèmes de drogue. Comme tant d’autres. Pour la petite histoire, c’est cette même drogue, l’héroïne, qui avait été à l’origine du malaise de Slash, et qui, on ne le savait pas encore, allait se prolonger jusqu’à ce que cette incroyable tromperie devienne pendant plusieurs mois notre quotidien. On l’imagine, le manager avait gardé bien en tête la particularité de Peter qui sans être particulièrement doué avait de très bonnes dispositions techniques. Et fan des Guns n’ Roses, il avait le mérite de connaître par cœur les morceaux des trois albums «Appetite for Destruction», «Use Your Illusion I» et «Use Your Illusion II». Et quand le véritable Slash eut ce malaise, il pensa aussitôt à lui. Un taxi est venu le chercher, le transportant de chez lui au stade olympique, une trotte d’une centaine de kilomètres. Tout s’est passé ensuite très vite. Aussitôt réceptionné par la pléthore de gardes du corps, il fut extirpé sans ménagement de la voiture pour être directement envoyé dans les loges. Dehors, tout n’était que cris et hurlements et à l’intérieur nous n’étions guères plus sereins. Tout le staff s’afférait autour des maquilleuses. Une anxiété routinière mais nouvelle pour le jeune Peter. Et il eût à peine le temps de reprendre sa respiration qu’il se retrouva sur scène nez à nez avec les Guns n’Roses :
«Alors, Slash, qu’est ce que tu foutais ? T’étais avec Duff ? Putain, tu crains, tu t’es pas trop chargé quand même !»
Et c’était parti pour deux heures de concert. Peter avait la liste des chansons dans sa poche. Il les connaissait toutes sauf une, il me l’a avoué après. Il s’en était rendu compte deux chansons avant un nouveau titre qu’Axl avait voulu essayer. Entre «Don't Cry» et «Knockin' on Heaven's Door», il avait dû prendre une posture nonchalante pour évoquer un manque d’inspiration et ainsi éviter le drame.
«Pourquoi pas t’as pas voulu Time is dead ?», c’était Axl qui s’en prit soudainement à Peter, après une bonne rasade de whisky d’une bouteille prise dans le bar de la limousine.
-«Quoi ? Mais… »
«Eh Slash ? Qu’est ce que tu avais ce soir ? Tu dégageais un mauvais son !», ça, c’était Dizzy qui relançait.
-«Euh… »
Moi ? J’étais dans l’autre voiture. Oui, bien sûr que je connaissais déjà l’imposture. Pourquoi ? Et bien, parce que j’étais l’assistant du manager, pardi ! Oui, comme stagiaire. Vous n’avez pas lu ma bio ? Putain ! Quel journaliste vous faites ! Non, sincèrement, à ce moment-là je ne me doutais pas à quel point Peter allait se sentir seul. Egoïstement, j’avais posé une distance entre lui et moi. Peter, c’était presque déjà à mes yeux un membre du groupe avec une forte probabilité de faire comme tout le monde, c’est-à-dire devenir complètement déjanté et bourré de cocaïne.
«Mais putain ! T’es vraiment lourd ! Arrête tes mélanges ! Mais putain, regarde toi ! Une véritable épave !», ça, c’était Axl qui avait décidé une bonne fois pour toute d’énerver Slash, son sport favori, un art en soi qui exige beaucoup de persévérance, et pour son cas également beaucoup de mauvaise foi.
«En plus, on avait dit que «November Rain», on la jouait un ton plus haut ! Et qu’on laissait tomber la relance en bemol de «Why are you here» ! Et je te parle pas de «Eat my gun» que tu as complètement massacré !»
Peter était à ce moment-là complètement désemparé. Il m’a avoué récemment qu’il avait compté un instant tout dévoiler. Pour lui, le subterfuge ne pouvait pas durer car il estimait qu’une grande différence le séparait du véritable Slash. Ce dernier jouait de manière fluide, tandis que chez Peter le jeu était encore forcé.
Le portable sonna.
«Slash, tiens, c’est Jo. J’imagine que ça va être ta fête, ah, ah !», s’exclama Axl d’un air auquel Peter fut étonné qu’il ne soit pas plus moqueur lui qui croyait vraiment avoir touché le fond.
«Bon, c’est toi Slash ? Enfin Peter. Ecoute, le vrai Slash est à l’hosto, tu vas rester avec nous encore quelques temps». C’était en fait le manager.
-«Hein ? Mais cela va être difficile »
«Pourquoi, ça te branche pas ?»
-«Si, mais…»
«Alors, ça marche, à bientôt ! »
Il était vraiment gêné. Il ne se sentait vraiment pas à la hauteur de la situation. Il aurait pu jouer à Slash pendant aussi longtemps que la santé du véritable l’exigeait, mais si physiquement il pouvait duper son monde, musicalement, et bien, il estimait avoir atteint ses limites. Malgré tout ce chambardement interne, rien ne se passa. Paralysé qu’il était par ces rockers surexcités, il se terra dans sa bulle jusqu’à la fin de la soirée. Ensuite ? Ensuite, il travailla. Sa chance fut que le groupe avait décidé de s’offrir quelques vacances. Comme il était fréquent que le véritable Slash d’un tempérament plus indépendant les passe seul, il ne fut dérangé par quiconque. Il passa toutes ces journées qui le séparèrent de la prochaine rentrée du groupe à jouer, jouer, et jouer encore. Les accords finirent pas s’enchaîner aussi mécaniquement que les prières d’un chapelet. Mais entre nous, de toutes manières, ce premier concert n’avait pas été l’échec que lui avait voulu bien croire. Peter qui avait été sonné par les sermons d’Axl et de Dizzy ne le savait pas, mais Slash était un peu la tête de Turc de toute la bande. Oh rien de bien méchant, mais quand le temps tournait à l’orage, et bien, Slash en prenait plus que les autres, surtout par Axl, qui, si vous me le permettez, a quand même un petit grain dans la cervelle. De tous, il est de loin le plus drogué. Slash ? Oh, lui c’est un mec cool ! C’est vrai qu’il a touché à tout ce qui se fume, pique et se boit, mais comme tout le monde ! Mais quoi, il faut avouer que lui aussi s’est toujours foutu de la gueule d’Axl. Pas comme lui, à sa manière : créer des nouveaux groupes à tour de bras est pour lui un bon moyen d’énerver Axl en lui faisant comprendre qu’il n’est pas le centre du monde et à fortiori des Guns ‘n Roses. Bon, tout ça pour dire que ce qui avait été perçu comme un rêve avorté chez Peter n’était finalement que le reflet d’un comportement habituel de drogués à l’ego surdimensionné. Car en fait, Peter n’avait pas si mal joué que cela. D’abord, il n’avait fait aucune faute, si l’on excepte les deux variantes omises dont il ignorait l’existence. Et puis, pour le style, ma foi, certes Slash jouait de manière plus fluide à cette époque, et les autres s’en étaient rendus compte, mais s’ils avaient été bienveillants, ils auraient pu tout aussi bien remarquer qu’auprès du public personne n’avait fait la différence, et que le concert s’était déroulé dans la plus grande des furies coutumières.
Voilà. C’est tout ce que je voulais dire à propos de la relation entre Peter et les Guns n’ Roses. Maintenant, si vous voulez bien, j’attends le journaliste de «Mother Hard Music». Une dernière question ? Mais je vous en prie… Quoi ! Il a osé dire ça ! Peter serait à l’origine du déclin des Guns n’ Roses ? Qu’il se contente de se piquer au lieu de dire des conneries pareilles. Ah oui, excusez-moi, Axl ne pique pas, il se sniffe. Qui a écrit la moitié des titres du dernier album ? Hein ? Et oui, Peter. Et lui ? Rien. Non, Peter fut réellement pour eux une aubaine, d’autant plus que Slash resta au lit pendant plusieurs mois, à la suite de complications et d’une dépression. Le véritable Slash a pris sa place dans le groupe ce que Peter a laissé sans faire de problèmes pour tracer son propre chemin. Et depuis, je m’occupe personnellement de lui. Son premier album, je peux vous assurer qu’il va cartonner.