Uriel remonta le col de son manteau afin de se protéger de la pluie battante qui lui martelait le visage. Il regretta pendant quelques secondes de n’avoir pas pris son chapeau. La fine ondée qui l’avait accueillie dès son arrivée sur les rivages de l’île du Levant, s‘était intensifiée. Le ciel terne et sans lumière offrait un plafond bas à la cité d’Olzéa. Le jeune homme avançait prudemment sur les pavés glissants, tout en gardant une assurance naturelle. Il avait l’habitude de pratiquer les sols mouillés et mouvants de La Scintillante. Aguerri de cette expérience, rien ne pouvait déstabiliser son équilibre marin. Surtout sur la terre ferme. Surtout sur ses propres terres… Il marchait d’un pas vif, poussé par la hâte de retrouver les siens, sa mère Aliane et son frère Darel qu’il avait quitté depuis trois ans. Trois années d’errance et d’aventures sur la Scintillante. Il avait tant à leur raconter…
Uriel avait plutôt fière allure dans son manteau de velours bleu et ses imposantes bottes de cuir, recouvrant en partie ses culottes noires. Il laissait flotter ses cheveux bruns dans le vent, affichant un sourire franc et désinvolte, saluant dignement les passants qu’il croisait. Peu d’entre eux lui répondait au risque de remettre en cause la réputation de convivialité, dont étaient si fiers les habitant de l‘île. Ils étaient bien peu nombreux sur la rue principale. Dans ses souvenirs, elle était emplie d’une foule dense et affairée. Aujourd’hui, ceux qui s’y aventuraient avaient le regard fuyant, de ceux qui ont peur. Un silence imposant donnait à la cité un air inquiétant, presque angoissant. La tension était palpable, elle rendait Uriel nerveux. Qu’arrivait-il donc à sa chère cité?
Un foulard emporté par le vent interrompit sa réflexion. D’un réflexe rapide, il l’attrapa au vol, avant qu’il ne touche le sol. Il se tourna vers sa propriétaire qui s’était précipitée à sa suite en criant. S’avançant vers elle pour le lui rendre, il arrêta brusquement son geste. Il dévisagea d’un air perplexe la jeune femme qui lui faisait face. Ses traits fins et délicats, ses joues roses ruisselantes de pluie, ses yeux bleus pétillants d’intelligence, ses cheveux longs et bouclés… Tout son être lui était si familier: Euxane, douce amie de son enfance. Euxane, si troublante aujourd’hui, qu’il en restait bouche bée, ne trouvant pas un mot à lui dire. Avant qu’il n’ait pu réagir, elle était déjà partie sans lui adresser le moindre merci et sans même récupérer son bien. L’avait-elle reconnu? Il l’ignorait. Il la regarda s’éloigner sous la pluie, admirant son profil gracieux jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière un pilier. Il soupira, enfouit la soie mauve dans sa poche, puis continua sa route. Les Olzéiens avaient décidément un comportement étrange, indéchiffrable à ses yeux. Il se sentait comme un étranger dans sa propre cité. Il n’était parti que depuis trois ans, était ce possible que les choses aient changé à ce point? Il reprit sa marche et se dirigea vers le centre de la cité. Il ferait un détour pour voir l’arbre de vie. Lui seul lui apporterait du réconfort et des réponses. L’Anamirta cocculus magique, symbole de la vitalité d’Olzéa pourrait le rassurer, effacer le malaise qui l’étreignait un peu plus sûrement à chaque pas. Il ne s’attendait assurément pas au désolant spectacle de la grande place. Uriel eut un sursaut de terreur devant le fantôme qui se dessinait devant ses yeux. L’arbre sacré livrait avec indécence une nudité maladive. Ses branches fines et noueuses étalaient leur fragilité désespérée. Elles s’élevaient vers le ciel, comme pour implorer clémence et demander une fin rapide.
L’arbre se mourrait. Sa cité se mourrait!
Les larmes coulèrent doucement sur le visage d’Uriel, se mêlant aux gouttes de pluie. Il ne chercha pas à les cacher, ni à masquer le désespoir et d’incompréhension qui s’était emparé de son âme. A quoi bon, puisque sa cité se mourrait…